La dark romance est un genre littéraire qui connaît un succès croissant auprès des jeunes, notamment grâce à TikTok (et depuis le confinement). Ces romans, si vous ne connaissez pas, mettent en scène des relations amoureuses toxiques et violentes, et sont particulièrement problématiques en raison notamment de leur lectorat principal : les adolescentes.
Disclaimer : cet article compile ce qui a été récemment dit sur le net, notamment via RTL, Ouest France et Marianne. Loin de moi l’idée de juger ; le but étant de poser un constat et de s’interroger.
Le phénomène de la dark romance nous vient des États-Unis depuis quelques années et a éclaté lors du confinement. Mettant ainsi en avant des autrices à succès comme Colleen Hoover, très connue des jeunes lectrices françaises.
En France, ce phénomène est encore récent, mais en plein essor. La dark romance (tout le contraire de ce que j’ai écrit avec Magical London, par exemple) est désormais un genre littéraire incontournable, qui s’impose sur les réseaux sociaux et dans les librairies. Mais qui fait polémique, comme l’a rapporté par exemple cette émission de RTL il y a quelques mois.
Si vous ne savez pas ce qu’est que la dark romance, vous allez en apprendre, des choses !
Dark romance : des clichés exacerbés et problématiques qui favoriseraient la culture du viol
La dark romance repose sur des mécanismes de manipulation qui visent à créer une empathie pour le héros masculin, régulièrement violent et manipulateur. Ces mécanismes sont fréquemment utilisés dans les films et les séries télévisées, mais ils sont encore plus puissants dans le format du roman, qui permet une immersion plus complète dans l’histoire.
Dans ces romans, l’homme est donc dépeint comme séduisant et mystérieux, suscitant l’intérêt et l’attraction de la protagoniste féminine. (Parfois doté de pouvoirs ou de capacités extraordinaires dans de la fantasy, ce qui le rend plus attirant).
En parallèle, l’héroïne est décrite comme une jeune femme fragile et inexpérimentée, qui est facilement manipulée par l’homme. Elle est victime de violences physiques et psychologiques, mais elle finit par tomber amoureuse de son bourreau.
Attention ici, on ne se parle pas « 50 nuances de Grey ». Christian Grey est un agneau et la trilogie de E. L. James relèverait presque d’un Disney en comparaison avec de la dark romance.
Ce genre, lui, va BEAUCOUP plus loin…
Pour Camille Emmanuelle, chroniqueuse sur les sexualités et le féminisme, on est dans « la culture du viol », a-t-elle déclaré à Ouest France. « Cela interroge sur la dissonance cognitive des jeunes lectrices, qui écoutent des podcasts féministes, mais vont payer 20 € pour une histoire qui promeut des mécanismes de domination. Attention, on peut fantasmer librement et je ne veux surtout pas les stigmatiser. Mais il reste la question de l’effet qu’ont ces récits. »
De lectures néfastes sur le (très jeune) lectorat ?
Quand on lit les nombreux articles et réactions en ligne, la dark romance pourrait avoir des conséquences néfastes sur les adolescentes, particulièrement vulnérables à ces mécanismes de manipulation (et les premières visées par les maisons d’édition qui publient ce genre). En effet, nul ne peut ignorer que les jeunes femmes mineures sont en pleine construction identitaire et émotionnelle, et sont souvent à la recherche d’un modèle masculin.
La dark romance pourrait-elle les amener à idéaliser les relations toxiques et violentes ? Et se retrouver plus tard dans des situations dangereuses, en tombant amoureuses de partenaires brutaux et manipulateurs ?
« Ne lisez pas ce genre de livre avant 18 ans, sinon vous aurez une vision complètement détraquée de ce qu’est un couple. Je regrette d’en avoir lu. La dark romance, c’est aussi perturbant qu’un film porno » a déclaré pour Marianne, qui a récemment consacré un long article sur le sujet de la dark romance, une jeune lectrice de même pas 20 ans.
Dans un autre article pour Ouest-France, Jérôme Bernez, des éditions Gulf Stream, a déclaré : « La fiction véhicule des codes de relationnel amoureux. La dark romance marque un recul sur l’égalité homme-femme, un contre-pied au phénomène féministe qu’on observe depuis les années 1990. » Il y voit « l’inverse des valeurs [que lui et son équipe] cherchent dans les manuscrits » et s’inquiète, malgré les avertissements présents au début de ces romans, de l’impact sur un lectorat très jeune. « Même à 16 ans, c’est assez limite. »
Des réactions diverses sur ce que beaucoup considèrent comme du « porno pour adolescentes »
La dark romance suscite de vives réactions, tant positives que négatives. Les fans de ce genre littéraire apprécient le suspense et l’intensité des émotions qu’il procure et considèrent que ces romans sont un moyen de s’évader de la réalité et de vivre des expériences fortes.
Les détracteurs de la dark romance dénoncent quant à eux ses effets néfastes sur les jeunes et estiment que ces romans sont dangereux, car ils glorifient la violence et banalisent les relations amoureuses toxiques.
Ludi Demol, doctorante à l’université Paris-VIII et spécialiste de la vie sexuelle des adolescents, a ajouté pour Marianne : « Certaines jeunes filles m’ont raconté qu’elles étaient excitées sexuellement par ce qu’elles avaient pu lire, mais ce qu’elles recherchent principalement, ce sont des émotions. Exactement comme dans un film d’horreur » (…) « Elles ne vont pas forcément regarder de la pornographie sur Internet parce qu’à leurs yeux c’est “pour les garçons”. La dark romance leur permet d’explorer la sexualité sans le stigmate infamant de la pornographie. »
Culture du viol et recul des égalités homme-femme : « comment peut-on être une femme et écrire de telles choses ? »
Camille Emmanuelle toujours, explique dans ce même article pour Marianne que « la dark romance est un genre qui glorifie la violence et banalise les relations amoureuses toxiques. » Pour elle, la dark romance est un genre dangereux, qui ne devrait pas être accessible aux jeunes.
Cette question est légitime : comment des femmes peuvent-elles écrire des livres qui glorifient cette violence ?
« Même s’il ne s’agit que de fantasmes, je suis surprise qu’on puisse se dire féministe tout en écrivant ou en lisant de la dark romance. Ce qui est étonnant, c’est ce paradoxe : comment cette sexualisation violente cohabite chez cette génération si sensible aux inégalités de genre ? », s’interroge la directrice du département jeunesse d’Albin Michel, Marion Jablonski dans l’article de Marianne.
Pour Camille Emmanuelle, il est possible que ces autrices soient elles-mêmes des victimes de violences. Et peuvent ainsi s’approprier ces histoires pour en faire un moyen de se libérer et de se reconstruire.
Elle le dit dans l’article de Marianne : « Dans un témoignage publié sur Twitter, une jeune femme explique avoir été attirée par la dark romance lorsqu’elle était adolescente. Elle explique que ces romans lui ont permis de comprendre qu’elle était victime de violence dans son couple. »
Ou alors :
Il est aussi possible que ces autrices soient tout simplement intéressées par l’argent. Car la dark romance est un genre très lucratif, et les autrices qui connaissent le succès peuvent gagner des sommes astronomiques.
Quelle que soit la raison, la dark romance est un genre très spécial qui ne devrait pas être aussi facilement accessible aux (très) jeunes. Les éditeurs et les libraires ont un rôle à jouer pour protéger les jeunes de ces influences néfastes. Les éditeurs ne veulent bien évidemment pas interdire sciemment, sur leur livre, un certain lectorat, de peur de perdre des ventes, on le sait… Mais peut-être ajouter un panneau bien plus visible en quatrième de couverture ?
Parents : méfiez-vous si on vous demande un exemplaire de Captive, Boutons et dentelle, Calendar Girl, Dark Romance, et consorts.