« Yellowjackets » : l’excellente série survival féminine & queer sur le trauma, que vous n’avez probablement pas encore vu
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 27 octobre 2025 - 🕐 6 minutes
La série américaine « Yellowjackets » s’impose depuis peu comme un objet culturel à la croisée du thriller, du survival et du portrait féminin, mêlant deux temporalités : le crash en 1996 dans une nature inhospitalière, et la vie des rescapées 25 ans après.
Elle brille également par une visibilité queer sans précédent : entre jeunes femmes, désir, ambiguïtés, la représentation lesbienne prend une ampleur rare dans une série mainstream.
Ce qui sera abordé :
Créée par Ashley Lyle, Bart Nickerson et Jonathan Lisco, « Yellowjackets » est diffusée depuis novembre 2021 sur Showtime (et disponible via Paramount+ sur Canal+). L’intrigue commence en 1996 lorsqu’une équipe féminine de soccer du New Jersey, charmante et ambitieuse, se crashe dans l’arrière-pays canadien. Les survivantes passent plusieurs mois en pleine nature : survie extrême, affaiblissement moral et pactes déchirants. Avec… à un moment donné, une prise de décision fatale qui va bouleverser leurs vies…
Parallèlement, dans le présent (en 2021), leurs vies d’adultes sont hantées par les choix qu’elles ont faits et les secrets enfouis. Le show alterne ces deux temporalités constamment, rendant le récit à la fois tendu et troublant. L’importance des thèmes (traumatismes, pouvoir, secte, solitude, sexualité) rend « Yellowjackets » plus qu’un simple thriller de survie.

Une narration à double temporalité qui joue avec les attentes
« Yellowjackets » fonctionne grâce à deux timelines principales : celle de l’enfance/adolescence en pleine nature (et l’occasion pour moi de revivre mes années adolescentes), et celle des adultes portés par les répercussions du passé.
En 1996, le crash, les premières semaines d’espoir, l’hiver implacable, le basculement moral : la descente vers le chaotique ne se fait pas brutalement, mais par étapes. Faim, peur, rivalités, cérémonies où le pouvoir bascule… Dans le présent, ces femmes confrontent leurs vies « normales » : carrière, famille, ruptures, tout en devant garder le silence sur ce qu’elles portent en elles. Cette alternance nourrit le mystère, permet de révéler les personnages progressivement, de doser les révélations et de maintenir un suspense durable : la vie passée hante ainsi le présent.
Ce procédé rappelle parfois Lost, surtout dans la saison 3 de « Yellowjackets ».
Attention spoilers :
On retrouve des similitudes : des cris étranges dans la forêt, la découverte de caches de nourriture, d’objets, et l’idée même que la nature devient un personnage. Lost utilisait le flashback pour dévoiler les vies d’avant, « Yellowjackets » l’emploie non seulement pour le passé, mais pour souligner la rupture identitaire, la transformation radicale. Ce va-et-vient est essentiel pour comprendre comment les personnages changent et notamment ce qu’ils ont sacrifié, voire renié.
Un casting à couper le souffle
Le casting de « Yellowjackets » compte des figures déjà connues qui contribuent à attirer l’attention, mais aussi de jeunes talents qui portent le récit. Parmi les comédiennes majeures : Melanie Lynskey incarne l’adulte Shauna, Christina Ricci joue Misty adulte, Tawny Cypress est Taissa adulte, Lauren Ambrose joue Van adulte. Les versions adolescentes sont incarnées par Sophie Nélisse (Shauna jeune), Sammi Hanratty (Misty jeune), Jasmin Savoy Brown (Taissa jeune), Sophie Thatcher (Natalie adolescente), qu’on a récemment vue au cinéma dans le thriller « Companion ».

Parmi les « gros noms », Juliette Lewis avait aussi un rôle important dans les premières saisons. L’équilibre entre stars confirmées et jeunes visages permet une tension entre ce qui est visible/attendu et ce qui est brut/émergeant.
Ce casting permet aussi une diversité intéressante : personnages féminins forts, aux traits souvent ambivalents, parfois toxiques, jamais idéalisés. La forêt, la survie, les extrêmes dessinent des personnages qui ne sont pas unidimensionnels. On voit aussi des personnages LGBTQ+ dans le groupe des survivantes, et ceci est traité avec une sincérité rare.
Des thèmes brûlants : secte, manipulation et… moralité extrême
La saison 2 introduit la dimension sectaire : Lottie, une survivante, crée autour d’elle une communauté quasi mystique, manipulatrice, où la nature, les croyances, les peurs s’entremêlent. Ce glissement vers le surnaturel ou le religieux n’est pas gratuit, il prolonge la peur, le délire, l’abandon des normes, comme on en rencontre dans des récits post-crash ou post-trauma. La manipulation sert de moteur dramatique : qui obéit à qui, quelles alliances se forment, quels sacrifices sont acceptés.
Dans la saison 3, les tensions s’intensifient : les personnages adultes doivent non seulement porter le poids du passé, mais aussi faire face aux révélations, aux preuves (archives, enregistrements), et aux masques que chacun portait. Le récit des survivantes adulte devient une enquête autant personnelle que collective. Le thème du trauma est central : physiquement, psychologiquement, moralement. Et la série ne se contente pas du spectaculaire (le cannibalisme, la violence) : elle explore aussi la culpabilité, la mémoire défaillante, le besoin de rédemption ou la tentation de nier.
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Découvrez ce livreUne visibilité queer au plus juste
La visibilité LGBTQ+ dans « Yellowjackets » est l’un de ses atouts les plus remarqués. Dès la saison 1, le personnage de Taissa est lesbienne ou bisexuelle (selon interprétation), sans que la sexualité soit réduite à un drame ou à une étiquette. La relation entre Taissa et Van (Van incarnée jeune par Liv Hewson, non binaire) est traitée avec délicatesse, complexité, y compris dans la temporalité du passé. Dans la saison 3, plusieurs personnages queers ont des arcs plus explicites, des moments de désir, de reconnaissance, sans que cela soit stéréotypé. Gayvox rapporte même les propos de Jasmin Savoy Brown (qui joue Taissa adolescente), et qui aurait dit : « Oh oui, c’est très gay cette saison », insistant sur un récit queer assumé.
Mais surgissent aussi des questionnements : est-ce que, dans « Yellowjackets », la vie entre femmes (jeunes femmes, adolescentes) équivaut automatiquement à une allusion homosexuelle ? Le fait qu’une grande partie de l’intrigue passe entre filles, que l’homophobie externe soit absente dans la plupart des scènes peut être interprété comme une forme de « lesbianisme implicite ». Cela ne nuit pas nécessairement à la représentation, mais cela ouvre un débat sur ce que signifie la « visibilité queer » : le fait de montrer le désir, l’identité, les émotions… et toute leur ambiguïté. Le show se situe souvent dans cette zone grise, ce qui semblerait être volontaire.
L’accueil critique de la série ? Démente !
Sur le plan de l’audience, la saison 3 de « Yellowjackets » est la plus regardée à ce jour, avec le final d’avril 2025 qui est devenu l’épisode le plus streamé de la série. En France, même si le show n’a pas (encore) le même niveau de notoriété, les critiques spécialisées le saluent pour son originalité, son audace visuelle, la densité de ses personnages féminins, la tension dramatique. Certains retours relèvent toutefois des failles : temporalité adulte jugée moins prenante, parfois des longueurs, ou la multiplication des intrigues qui peuvent diluer l’intensité. Mais dans l’ensemble, la presse y voit un renouveau du genre survival/horror porté par des figures féminines, queers, brutes et sensibles à la fois.

Jusqu’où ira la série dans l’extrême (attention, spoilers)
Dans les dernières saisons de « Yellowjackets », la série n’hésite pas à aller très loin : le cannibalisme, les sacrifices rituels, les trahisons, des morts choquantes parmi les personnages principaux. Le personnage de Hannah, par exemple, devient témoin/actrice d’actes extrêmes, puis paye un prix élevé en retournant dans le présent ; l’épisode final de la saison 3 marque une révélation majeure via un transpondeur découvert, annonçant une possible ouverture vers un sauvetage, mais aussi plusieurs conséquences pour la psychologie des survivantes…
Pour moi, « Yellowjackets » est un des rares récits télévisuels où survie extrême, identité queer et culpabilité se rencontrent sans compromis. La série ne se cache pas derrière des effets de style pour éviter les émotions brutes et ose montrer des femmes imparfaites, attachées… et potentiellement dangereuses. Ce mélange (entre la forêt, la violence, la complicité lesbienne implicite/explorée) est ce qui la rend si puissante. Ce n’est pas une série confortable, mais elle est nécessaire. Perso, j’attends la saison 4 avec impatience (qui vient d’être annoncée comme étant la dernière). Tournage probablement à partir de début 2026, pour une diffusion estimée fin 2026, voire début 2027. Ça va être long.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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