De l’horreur au « camp » : pourquoi « The Substance » est l’œuvre queer ultime de 2024
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 11 décembre 2025 - 🕐 5 minutes
« The Substance » est une perle rare du cinéma. Au-delà de son propos féministe évident sur le vieillissement et les standards de beauté, le film de Coralie Fargeat s’impose également… comme l’une des œuvres les plus queers de 2024. Que je vous explique.
Présenté en compétition au Festival de Cannes 2024, où il a décroché le Prix du scénario et reçu une standing ovation de 13 minutes, le film avec Demi Moore et Margaret Qualley explore les standards de beauté, le vieillissement et les pressions sociales à travers un body horror saturé et une satire mordante.
Ce qui sera abordé :
L’histoire suit Elisabeth Sparkle, ancienne star oscarisée devenue icône fitness, qui se fait renvoyer de son émission télévisée le jour de ses 50 ans par son producteur toxique Harvey. Désespérée, elle découvre une drogue mystérieuse, « The Substance », qui lui permet de créer une version plus jeune et parfaite d’elle-même, incarnée par Sue. La seule règle : alterner exactement une semaine dans chaque corps, sans exception…

Une esthétique pop années 80 qui claque
Le style visuel du film frappe immédiatement : le manteau jaune vif d’Elisabeth, ses Louboutin à semelle rouge, la tenue de fitness rose métallique de Sue. Tout est pensé pour évoquer l’esthétique saturée des années 80, cette décennie d’excès et de glorification du corps. La cinématographie de Benjamin Kracun est impitoyable tout en nous offrant le eye candy qu’on désire.
Coralie Fargeat maîtrise parfaitement les codes visuels de cette époque où l’aérobic télévisé régnait en maître, mêlant néons agressifs, angles de caméra façon Michael Bay et partition synthétique obsédante. Les critiques s’accordent sur l’audace stylistique de la réalisatrice, qualifiant le film de descente sauvage et osée dans l’horreur des standards de beauté contemporains, portée par la brillante performance de Demi Moore.

Demi Moore et Margaret Qualley, époustouflantes
Les effets pratiques de Pierre-Olivier Persin, comparables aux travaux de Rob Bottin pour The Thing ou de Chris Walas pour The Fly, sont époustouflants et sanglants. Demi Moore livre une prestation sans vanité, probablement sa meilleure performance à l’écran depuis des décennies.
Margaret Qualley, de son côté, apporte une énergie vibrante et une séduction troublante à Sue, rendant le personnage à la fois calculateur et innocent. Le casting de ces deux actrices, comme les deux faces d’une même pièce, est un coup de maître : elles incarnent l’ambition et la destruction avec une intensité rare.
Pourquoi « The Substance » est immédiatement devenu un film culte gay
Bien que n’étant pas explicitement LGBTQ+, « The Substance » est tout de même devenu un classique gay quasi instantané, destiné à être référencé, cité et « mèmifié » par les audiences queers pendant des années.
Le magazine américain « Out » qualifie le film d’« impossible beauty standards gay », soulignant que la dissection hyperbolique dont Elisabeth fait l’objet résonne particulièrement dans la communauté queer, où ne pas correspondre à un certain type de corps reste douloureux.

Dans son essai de 1977 « Camp and the Gay Sensibility », Jack Babuscio écrit que la conscience aiguë des gays de la polarisation entre normal et anormal crée une double perspective sur le monde, dont le « camp » est une réponse.
« The Substance » n’est pas un film gay au sens traditionnel, mais il contient des éléments qui attirent historiquement les personnes queers : des divas rivales, des antihéros marginaux, et une fin qui bascule dans le stratosphérique.
Pour rappel, le « camp » (prononcez « kempp ») désigne une esthétique fondée sur l’exagération, l’artifice et le mauvais goût assumé, érigé en style. Il célèbre le kitsch, l’over-the-top et le second degré, souvent associé à la culture queer et à la subversion des normes de genre.
Une lecture trans qui change tout ?
Pour les personnes trans, « The Substance » contient une lecture évidente et parfois troublante : une injection qui crée une version magnifique de soi avec laquelle on se sent mieux, c’est extrêmement familier. L’œstrogène injectable est prescrit partout dans le monde, tout comme la testostérone s’administre principalement par injections.

Quand Elisabeth alterne entre son ancien corps et Sue, on reconnaît ce balancement familier entre le doute paralysant de la dysphorie et la confiance retrouvée en habitant enfin un corps dans lequel on se sent bien. Les critiques queers ont largement commenté ce sous-texte : Gay Times qualifie le film d’allégorie de l’expérience trans, particulièrement la joie de se regarder dans le miroir après avoir transformé son corps, tandis qu’Out souligne comment l’obsession des standards de beauté impossibles connecte femmes et hommes gays.
Un climax « camp » qui divise
Le climax explosif du film, avec « Monstro Elisasue », devient un indicateur parfait de la synthèse entre beauté, sexe et dégoût. Quand un « blob » de chair géant avec des seins et des rangées de dents colle une photo du visage de Demi Moore sur sa tête approximative pour se présenter au monde, « The Substance » est pleinement camp. Le film s’inscrit dans le canon des œuvres adorées par les publics queer sans être explicitement LGBTQ+, aux côtés de « La mort vous va si bien » ou encore « Showgirls ».

Vous l’aurez compris, perso, j’ai surkiffé. Je l’ai d’ailleurs vu et revu. « The Substance » m’a littéralement scotché à mon siège avec son culot visuel, sa violence cathartique et son propos radical. C’est sale, c’est excessif, c’est magnifique. Sa capacité à parler simultanément de misogynie, d’âgisme, de dysphorie corporelle et d’auto-destruction en fait l’œuvre la plus fascinante et la plus queer de 2024. Coralie Fargeat a accouché d’un monstre sublime qui nous regarde droit dans les yeux et nous demande : jusqu’où iriez-vous pour être la meilleure version de vous-même ?

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).





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