« The Sex Lives of College Girls » : la série sex-positive qui ne méritait pas un arrêt si brutal
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 30 octobre 2025 - 🕐 6 minutes
« The Sex Lives of College Girls », créée par Mindy Kaling et Justin Noble, s’est achevée après trois saisons en janvier 2025 sur Max. Face à l’échec des négociations pour une reprise ailleurs, ses fans et défenseurs s’interrogent : pourquoi cette décision, et que révèle-t-elle du recul de certaines formes de visibilité queer ?
Lancée le 18 novembre 2021 sur HBO Max (devenue ensuite Max), la série « The Sex Lives of College Girls » (souvent abrégée SLOCG) s’impose dès ses débuts comme une comédie dramédique audacieuse et contemporaine.
Ce qui sera abordé :
Encore une pépite télé signée Mindy Kaling
Cocréée par Mindy Kaling et Justin Noble, elle raconte l’arrivée à l’université de quatre jeunes femmes : Kimberly (Pauline Chalamet), Bela (Amrit Kaur), Whitney (Alyah Chanelle Scott) et Leighton (Reneé Rapp), toutes dans un campus fictif de l’État du Nord.

La série mêlait humour, sexualité assumée et préoccupations sociales : pression scolaire, inégalités de genre, anxiété, quête de soi.
Elle a bénéficié d’un accueil critique positif, porté par une écriture vive et des personnages attachants, chacun ayant son arc propre et ses contradictions, sans n’être jamais simple faire-valoir.
Sauf que, dès mars 2025, Max a annoncé l’annulation définitive de la série après trois saisons, malgré les efforts du studio Warner Bros. Television pour lui trouver un nouveau foyer. Le 11 avril 2025, l’annonce officielle confirma que « “The Sex Lives of College Girls” » ne reviendrait pas, concluant ce qui avait souvent été présenté comme un cliffhanger possible.
Une dynamique ébranlée par des départs
L’une des forces de cette série réside dans un casting multicouche et bien calibré. Le quatuor principal (Pauline Chalamet en Kimberly, Amrit Kaur en Bela, Alyah Chanelle Scott en Whitney, et Reneé Rapp en Leighton) a su insuffler à la série une alchimie nette. Leighton, interprétée par Renée Rapp, est devenue un personnage phare pour sa dimension queer, son arc émotionnel et sa trajectoire personnelle.
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Découvrez ce livreMais ce personnage a été retiré lors de la saison 3 : Rapp a quitté la série pour se consacrer à sa carrière musicale, après avoir amorcé sa transition vers d’autres projets. Dans la saison 3, son personnage apparaît dans deux épisodes puis disparaît, et la série introduit des personnages secondaires (notamment Gracie Lawrence) pour combler le vide narratif. Cette absence a été perçue comme un coup dur par de nombreux fans, tant Leighton incarnait une figure forte de représentation lesbienne dans la série.
Au-delà du quatuor, le casting secondaire est riche : Ilia Isorelýs Paulino, Christopher Meyer, Renika Williams, Mia Rodgers, Lauren « Lolo » Spencer, et d’autres apportent humour et profondeur dans des rôles variés. Chaque personnage dispose d’un arc identifiable, parfois drôle, parfois douloureux, et n’est jamais réduit à un archétype.
Inclusivité, sex-positivité et visibilité queer : une réussite d’écriture
L’un des atouts majeurs de « The Sex Lives of College Girls » est son traitement inclusif et sa sexualité assumée. La série est clairement sex-positive : les relations sexuelles sont présentées sans jugement moral, souvent avec humour, mais toujours avec réalisme. Elle dédramatise les frustrations, les désirs, les maladresses, tout en explorant les enjeux émotionnels, les consentements, les angoisses de l’intimité. Les personnages féminins ont le droit d’« ouvrir leurs cuisses » sans honte. C’est une revendication implicite, mais terriblement puissante en réalité.
La représentation queer y est abordée sans effets de manche. Leighton, personnage lesbien assumé, offre une perspective rare dans une série centrée autour de l’amitié féminine ; Bela, bisexuelle, navigue entre désir, ambivalence et découverte ; Kimberly traverse des confusions émotionnelles. Ces arcs ne sont pas isolés, mais intégrés naturellement dans les récits. Cette inclusion non spectaculaire, sans exploit politique forcé, est un acte culturel fort.
Oui, on peut objectiver aussi les hommes, et c’est OK.

De plus, les beaucoup trop nombreux plans sur les physiques de Dieux grecs des « hétéros » du campus ont clairement été pensés pour un public féminin cis hétéro et LGBT… et ce n’est pas pour nous déplaire. De plus, cet étalage presque indécent (mais on ne va pas s’en plaindre) d’abdos et de pectoraux permet un retournement de situation d’un point de vue sociétal : oui, on peut objectiver aussi les hommes, et c’est OK.
La série a aussi marqué des points en visibilité : mention d’un personnage en fauteuil roulant (bonne représentation des personnes en situation de handicap), divers profils culturels et raciaux, anxiété, pression universitaire. Leurs histoires ne sont pas « accessoires » : elles se croisent, s’influencent, dialoguent. On sent que les scénaristes avaient à cœur de donner à chacun une voix propre, sans tomber dans la sur-symbolisation.
Un climat politique actuel aux USA propice aux annulations de séries queers ?
Malgré ses qualités, la saison 3 de « The Sex Lives of College Girls » a rencontré des critiques plus mesurées et une moindre ferveur que les deux premières. L’un des motifs les plus avancés pour l’annulation est la baisse des audiences : Max aurait jugé que la série ne performait plus suffisamment pour justifier une suite. En parallèle, les coûts de production, liés à un casting large, des décors universitaires, un rythme hebdomadaire, peuvent peser lourd dans l’équation.

Mais l’annulation intervient dans un contexte plus large de repli sur les contenus « sûrs », à l’heure du recentrage stratégique des plateformes. En 2025, de nombreuses séries, même bien établies, ont été brutalisées par des restructurations ou des compressions budgétaires. Dans ce contexte, une série à visibilité queer, valorisant la liberté sexuelle et l’émancipation des jeunes femmes, pourrait paraître moins « rentable »…
Certains observateurs y voient aussi un effet symptomatique de la réaction politique aux droits LGBTQ+ aux États-Unis : un climat de restriction, de pression sur les représentations visibles, de polarisation culturelle. Une série comme « The Sex Lives of College Girls » incarne ce que les conservateurs détestent et traitent comme « dangereux » ou « provocateur » : des jeunes libres, introspectifs, ouverts au monde, sexualité assumée. L’écho entre les décisions politiques et culturelles n’est pas strictement causal, mais il invite à une lecture critique : dans un pays où certaines lois ciblent les droits queers, la disparition d’une telle série n’est pas neutre.
Quant aux négociations, elles semblent aujourd’hui tombées à l’eau. En effet, Warner Bros. TV avait exploré des solutions pour vendre la série à d’autres plateformes, notamment Netflix.
Netflix, malgré sa relation ancienne avec Mindy Kaling (pour « Mes premières fois », « La meneuse ») et son intérêt pour les contenus LGBTQ+, n’a pas repris le projet. En avril 2025, Deadline déclarait que les discussions n’avaient pas abouti et que la « route était terminée ». Le studio a abandonné l’idée d’un quatrième cycle, malgré la reconnaissance de la série (Justin Noble lui-même ayant posté : « c’est une sacrée bonne série »).

Du coup, on doit la sauver ou la laisser partir ?
Il est légitime de se demander : faut-il accepter l’arrêt, ou mobiliser pour un sauvetage ? Les fans et défenseurs peuvent utiliser plusieurs leviers : pétitions publiques, campagnes sur les réseaux sociaux, contacts aux plateformes susceptibles de relayer le projet, soutien médiatique et institutionnel. Dans le passé, de telles actions ont permis d’inverser des annulations (je pense à Lucifer ou Brooklyn Nine-Nine). Mais ces victoires restent rares et fragiles…
La question politique sous-tend le débat : si des récits qui valorisent la liberté, la pluralité sexuelle et l’émancipation féminine sont progressivement écartés, c’est un signal culturel préoccupant. Le basculement entre « contenu grand public acceptable » et « contenu contesté » touche lourdement les séries queers. La visibilité LGBTQ+ payée au prix du risque doit être défendue ; et « The Sex Lives of College Girls » représentait un bel exemple accessible, populaire, drôle et exigeant.
Le temps joue contre : plus l’oubli s’installe, moins les acteurs, l’équipe et l’audience mobilisés auront l’énergie pour relancer un projet. Pourtant, il reste possible de rappeler que cette série, si drôle, juste, inclusive, ne mérite pas cette disparition précoce.
« The Sex Lives of College Girls » fut une réussite rare : inclusive, sex-positive, intelligente, drôle, portée par des personnages forts et une écriture subtile. Son interruption après trois saisons, malgré l’effort pour la « sauver », traduit un désordre actuel des stratégies de plateau et des représentations culturelles, en pleine soudaine résurgence de résistances aux droits LGBTQ+.
Donc, si jamais on n’a jamais de suite, on a au moins 3 saisons de 10 épisodes à voir et à revoir.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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