The Lost City of Z : pourquoi ce film, ce chef-d’œuvre de James Gray, mérite-t-il mieux que d’être taxé de « long et chiant » ?
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 6 octobre 2025 - 🕐 7 minutes
La question mérite d’être posée tant « The Lost City of Z », film sorti en 2017, divise encore aujourd’hui. Le film bénéficie, en France comme dans le monde, de belles retombées critiques de la part des professionnels du cinéma. Mais, côté grand public, ça pêche.
Certains spectateurs lui reprochent en effet sa lenteur, son côté « laborieux et désincarné », comme on peut le lire parfois dans des critiques négatives en ligne. Cette division s’explique par la nature même du cinéma de James Gray : un cinéma d’auteur qui privilégie la contemplation à l’action spectaculaire, l’introspection au divertissement pur.
Ce qui sera abordé :
Une défense passionnée d’un cinéma contemplatif ou l’art de prendre son temps
« The Lost City of Z », assume son rythme contemplatif, caractéristique du cinéma d’auteur face aux standards hollywoodiens actuels. Cette approche, loin d’être un défaut, constitue la force principale de l’œuvre de James Gray.

« The Lost City of Z » ose ainsi prendre le temps de développer ses personnages, de construire ses émotions, de laisser respirer ses images. Cette patience narrative, héritée des grands classiques hollywoodiens, permet une immersion totale dans l’univers du film. Chaque plan de jungle, chaque regard échangé entre les personnages, chaque silence contribue à tisser une toile émotionnelle d’une richesse rare.
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James Gray s’est imposé comme l’un des cinéastes américains les plus singuliers de sa génération. Son cinéma se caractérise par une approche humaniste profonde, des personnages complexes en quête d’identité et de rédemption, et une mise en scène classique héritée des maîtres hollywoodiens.
Né en 1969 à New York, il débute sa carrière avec « Little Odessa » (1994), puis enchaîne avec « The Yards : Terrain vague » (2000), « La nuit nous appartient » (2007), « Two Lovers » (2008) et « The Immigrant » (2013). Après « The Lost City of Z », il réalise « Ad Astra » (2019) avec Brad Pitt, confirmant son goût pour les odyssées introspectives.
« The Lost City of Z » bénéficie d’une équipe technique exceptionnelle. La photographie, signée Darius Khondji (collaborateur régulier de David Fincher et Jean-Pierre Jeunet — reconnaissable avec son filtre vert/jaune), sublime la jungle amazonienne avec une palette chromatique somptueuse. La musique de Christopher Spelman accompagne cette quête obsessionnelle, tandis que les décors de Jean-Vincent Puzos et Kevin Thompson recréent avec un souci du détail remarquable l’Angleterre édouardienne et l’Amazonie sauvage. On n’oublie pas Brad Pitt, producteur du film, avec qui James Gray s’associera deux années plus tard dans le sublime « Ad Astra ».

L’histoire vraie de Percy Fawcett, explorateur obsédé et oublié
« The Lost City of Z » raconte l’histoire vraie de Percy Harrison Fawcett, officier britannique devenu explorateur au début du XXe siècle. Parti en mission cartographique en Amazonie en 1906, Fawcett développe une obsession pour une cité perdue qu’il baptise « Z ». Contrairement aux aventures d’Indiana Jones, il ne s’agit pas ici de fiction spectaculaire, mais bien d’une quête authentique qui a réellement existé.
Fawcett effectue plusieurs expéditions entre 1906 et 1925, époque où l’Amazonie reste inexplorée des Occidentaux. Sa vision révolutionnaire pour l’époque consiste à considérer que les populations indigènes ont pu développer des civilisations avancées, théorie qui va à l’encontre des préjugés coloniaux de son temps.
Cette histoire méconnue du grand public trouve en Gray un conteur idéal. Le réalisateur transforme ainsi cette quête géographique en voyage intérieur, explorant les thèmes de l’obsession, de la masculinité et du prix à payer pour réaliser ses rêves.
Charlie Hunnam, l’élégance d’un aventurier moderne, au charisme magnétique
L’acteur britannique, 37 ans à l’époque, arrive sur ce projet auréolé de son succès télévisuel dans « Sons of Anarchy » (2008-2014) où il incarnait Jax Teller, leader charismatique de motards. Au cinéma, il venait de s’illustrer avec succès dans deux films de Guillermo Del Toro : « Pacific Rim » (2013), film de robots géants, et dans le gothique « Crimson Peak » (2015). C’était l’époque où Hollywood croyait en son potentiel de star, avant qu’il n’enchaîne malheureusement quelques projets moins inspirés.
Dans « The Lost City of Z », Charlie Hunnam retrouve sa superbe d’acteur, incarnant un aventurier qui n’a rien à voir avec Indiana Jones (et c’est tant mieux, car il n’y a qu’un seul Indiana Jones, et c’est très bien comme ça), torturé entre sa passion et ses obligations. Il livre dans « The Lost City of Z » l’une de ses interprétations les plus accomplies.
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Charlie Hunnam compose en effet un Percy Fawcett complexe, tiraillé entre ses obligations familiales et son obsession exploratrice. Son jeu, tout en retenue britannique, exprime les tourments intérieurs d’un homme rongé par une quête qui le dépasse. La beauté naturelle de l’acteur, sa prestance aristocratique et sa capacité à exprimer la détermination comme le doute en font l’incarnation parfaite de cet officier anglais du début du XXe siècle.
Le physique de Hunnam, hérité de « Sons of Anarchy » et surtout de « Pacific Rim », colle ici aux exigences des expéditions amazoniennes. Ses scènes dans la jungle, où il affronte les éléments avec une détermination stoïque, révèlent un acteur investi corps et âme dans son rôle. Cette performance mérite d’être saluée tant elle apporte une humanité touchante à un personnage qui aurait pu n’être qu’un archétype d’aventurier colonial.

Tom Holland avant les Spider-Man de Marvel : un fils bouleversant de vérité
L’un des plaisirs les plus purs de « The Lost City of Z » réside dans la découverte de Tom Holland dans le rôle de Jack Fawcett, le fils de Percy. L’acteur britannique n’avait alors que 20 ans lors du tournage et n’avait pas encore endossé le costume de Spider-Man pour Marvel. Cette innocence pré-Hollywood se ressent dans chaque plan, offrant une fraîcheur saisissante à son interprétation.
Voir Tom Holland si jeune, pas encore formaté par les exigences des blockbusters Marvel, constitue un véritable rafraîchissement. Son Jack Fawcett rayonne d’une sincérité désarmante, incarnant ce fils prêt à tout pour aider son père, qui ne veut pas perdre celui qu’il admire, quitte à mourir avec lui dans les profondeurs de l’Amazonie. Cette relation père-fils, filmée sans sentiments grandiloquents, touche au cœur même de la masculinité et des repères nécessaires à la construction d’un jeune homme.
Une relation père-fils universelle
L’amour entre Percy et Jack Fawcett, pudique, mais profond, constitue l’épine dorsale émotionnelle du film. James Gray filme cette complicité masculine avec une justesse remarquable, évitant les pièges du mélodrame. Tom Holland, par sa jeunesse et son talent naturel, incarne cette admiration filiale mêlée d’inquiétude. Son personnage grandit au fil du récit, passant de l’enfance à l’âge adulte, et l’acteur accompagne cette évolution avec une maturité impressionnante.
Cette dimension familiale, loin d’être anecdotique, révèle les enjeux profonds du film. Car au-delà de l’aventure géographique, « The Lost City of Z » interroge le prix de l’obsession sur ceux qui nous entourent. La performance de Holland, empreinte d’une vulnérabilité touchante, nous rappelle que derrière chaque grand explorateur se cache une famille qui attend, qui espère et qui souffre.

Une critique subtile du colonialisme
Au-delà de l’aventure, James Gray livre une critique sur le colonialisme et l’impérialisme britannique du début du XXe siècle. Cette dimension politique, jamais didactique, enrichit considérablement le propos du film.
Percy Fawcett apparaît dès lors comme un précurseur, un homme en avance sur son temps qui respecte les populations indigènes quand ses contemporains les méprisent. Cette vision progressiste, portée par la mise en scène respectueuse de Gray, élève « The Lost City of Z » au-dessus du simple film d’aventures pour en faire une œuvre de réflexion sur l’ethnocentrisme occidental.
Malgré un budget de 30 millions de dollars, « The Lost City of Z » n’a rapporté que 19 millions au box-office mondial. Ce relatif échec commercial ne doit pas masquer la réussite artistique éclatante de cette œuvre. Time Magazine l’a classé parmi ses 10 meilleurs films de 2017, reconnaissance qui confirme sa qualité exceptionnelle.

« The Lost City of Z » mérite donc amplement sa redécouverte sur HBO Max. Ce film, loin d’être « long et chiant » comme le prétendent ses détracteurs, constitue une œuvre profonde et belle sur l’obsession, la famille et les rêves impossibles. James Gray y livre une réflexion universelle sur la condition humaine, portée par des interprétations remarquables de Charlie Hunnam, Tom Holland et Sienna Miller. Un véritable trésor du cinéma contemporain qui révèle ses richesses à qui sait prendre le temps de l’apprécier.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).
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