« Teen Wolf » : symbole du queerbaiting hollywoodien ?
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 27 novembre 2025 - 🕐 6 minutes
Diffusée de 2011 à 2017 sur MTV, « Teen Wolf » promettait un univers révolutionnaire où l’homophobie n’existait pas. Pourtant, cette série surnaturelle est devenue l’un des exemples les plus controversés de queerbaiting télévisuel, laissant une communauté LGBTQ+ divisée entre gratitude et déception.
Petit point vocable pour ceux qui ne le savent pas. Le mot « queerbaiting » désigne une stratégie narrative ou marketing qui suggère une représentation LGBTQIA+ sans jamais la concrétiser, afin d’attirer le public queer, sans s’engager réellement. Comme quand les créateurs insinuent une tension romantique ou sexuelle entre deux personnages du même genre (regards, sous-entendus, mises en scène ambiguës), sans jamais confirmer leur relation (souvent pour éviter la censure ou le rejet d’un plus grand public.
Ce qui sera abordé :

À première vue, « Teen Wolf » semblait être le cadeau tant attendu (je m’en souviens encore quand j’ai maté les premiers épisodes à J+1). Créée par Jeff Davis, lui-même ouvertement gay, la série suivait les aventures de Scott McCall, un adolescent transformé en loup-garou, dans la ville fictive de Beacon Hills.
Dès le pilote, la promesse était claire : construire un monde où les différences de sexualité seraient acceptées avec la même évidence que la couleur des yeux. Danny Mahealani, lycéen gay, joueur de crosse populaire et expert en informatique, apparaissait dès le deuxième épisode. Loin des stéréotypes, son homosexualité n’était qu’une facette d’un personnage complet. La communauté LGBTQ+ voyait enfin émerger une représentation normalisée à la télévision grand public, destinée à un public adolescent. L’allégorie même du loup-garou, créature contrainte de cacher sa véritable nature par peur du rejet social, résonnait puissamment avec l’expérience queer.
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Découvrez ce livreQuand le marketing flirte avec les espoirs d’une communauté
Le phénomène « Sterek » a changé la donne. Ce couple non canonique formé par Stiles Stilinski et Derek Hale est rapidement devenu le navire le plus populaire de la série, dépassant même des géants comme « Supernatural » ou « Doctor Who » dans les sondages de fans.
L’équipe de « Teen Wolf » l’a vite compris. En 2012, MTV diffusait des vidéos promotionnelles montrant Dylan O’Brien et Tyler Hoechlin enlacés sur un bateau…

La chaîne organisait même des concours de fanfictions, nommait « Sterek » aux Fandom Awards, et Jeff Davis lui-même suggérait sur les réseaux sociaux que, si suffisamment de fans le demandaient, le couple pourrait devenir… une réalité. Les campagnes comme « Cookies For Sterek » envoyaient littéralement des centaines de gâteaux aux bureaux de MTV.
La machine promotionnelle tournait à plein régime, instrumentalisant les désirs d’une audience queer avide de représentation. Mais cette stratégie marketing s’apparentait à jouer avec le feu. En encourageant activement les espoirs sans jamais promettre explicitement leur réalisation, « Teen Wolf » franchissait en réalité la ligne… du queerbaiting.
Les personnages LGBTQ+ : de la promesse au « symbole »
La réalité des personnages queer dans « Teen Wolf » raconte une histoire différente de celle vendue par le marketing.
Par exemple, Danny Mahealani disparaît mystérieusement de la série après la saison 3, sans aucune explication narrative. Son petit ami Ethan, loup-garou alpha, joué par Charlie Carver, n’apparaît que durant une seule saison avant de quitter Beacon Hills.
Mason Hewitt arrive en saison 4, rapidement perçu par certains fans comme un remplacement de Danny plutôt qu’un ajout organique. Corey Bryant rejoint le casting en saison 5. Jackson Whittemore ne sera confirmé bisexuel qu’à son retour dans la dernière saison, après avoir quitté la série pendant quatre ans.
Le constat est sans appel : aucun de ces personnages ne fait partie du casting principal. Leur temps d’écran reste marginal comparé aux relations hétérosexuelles qui structurent la narration. Pendant que Scott, Stiles, Lydia et Allison bénéficient d’arcs romantiques développés sur plusieurs saisons, Danny et Ethan obtiennent quelques scènes éparses. L’analyse des minutes cumulées révèle un déséquilibre criant entre représentation quantitative et qualitative.
La fracture : quand Dylan O’Brien enterre « Sterek »
Le tournant arrive en 2014 lors d’une interview avec TVLine. Interrogé sur une réplique de Caitlin, personnage bisexuel, demandant à Stiles s’il aimait les garçons, Dylan O’Brien répond que cela ne signifiait rien. Selon lui, Stiles n’est clairement pas gay et n’a jamais été pensé comme tel. Cette déclaration tombe alors comme un couperet.

Des milliers de fans expriment leur douleur sur Tumblr et Twitter, certains annonçant arrêter de regarder la série. La campagne #MoreDanny émerge pour protester contre l’invisibilisation de Danny. Tyler Posey aggrave la situation en déclarant dans une vidéo que « les fans regardant “Teen Wolf” pour Sterek le font pour de mauvaises raisons ».
L’équipe de production organise un sondage Facebook demandant quelle serait la petite amie idéale pour Stiles, effaçant d’un trait toute possibilité queer. Plus troublant encore, lors de conventions, Tyler Hoechlin se voit interdire de signer des objets liés à « Sterek ». La communauté comprend alors qu’elle a été utilisée pour générer du buzz sans qu’aucune intention narrative sincère n’ait jamais existé…
Entre représentation de façade et opportunisme : le procès d’une génération
La controverse « Teen Wolf » transcende plus qu’une simple frustration, elle soulève des questions fondamentales sur la représentation queer dans les médias grand public.
Un article publié dans le « Journal of Fandom Studies » en 2018 analyse le queerbaiting de la série, détaillant comment la caméra objectifie constamment Derek Hale, le plaçant dans des positions traditionnellement féminines, créant un sous-texte queer délibéré. L’article démontre que la lecture « Sterek » n’est pas une interprétation fantaisiste, mais repose sur une construction narrative intentionnelle.
De son côté, The Advocate, magazine LGBTQ+ de référence, publie en 2014 un édito intitulé « The Trouble With « Teen Wolf” », critiquant sévèrement la représentation décroissante des personnages LGBT au fil des saisons.
Le site The Geekiary dénonce régulièrement le fossé entre le discours de l’équipe, se présentant comme pionnière de la représentation queer, et la réalité d’un casting où aucun personnage principal n’est LGBTQ+. La communauté se divise.
Certains fans défendent les personnages secondaires, comme Danny et Mason, soulignant leur importance symbolique pour 2011. D’autres dénoncent le cynisme de ces représentations qui servent plutôt de bouclier contre les accusations.

L’héritage ambivalent d’un monde sans homophobie
Paradoxalement, « Teen Wolf » a marqué une génération. Tyler Posey lui-même, qui s’est révélé sexuellement « fluide » en 2021, a déclaré que la série l’avait aidé à accepter sa propre identité sans honte.
Des centaines de témoignages sur les réseaux sociaux évoquent comment voir Danny évoluer naturellement dans un lycée sans homophobie a changé leur perception d’eux-mêmes. La simple existence d’un univers fictionnel où être gay n’était pas un drame a eu un impact thérapeutique pour de nombreux adolescents isolés.
Mais cet impact positif ne peut effacer la manipulation marketing. En 2017, Viacom supprime une vidéo d’analyse critique démontrant le queerbaiting de « Teen Wolf », renforçant le sentiment d’effacement vécu par les fans. La communauté « Sterek », plutôt que de disparaître, s’est autonomisée, créant un espace fandom parallèle produisant des milliers de fanfictions et d’œuvres d’art.
Aujourd’hui encore, « Sterek » reste l’un des sujets les plus populaires sur « Archive of Our Own », preuve que l’imaginaire collectif a survécu à la série elle-même.

Regarder « Teen Wolf » avec le recul impose une lecture dialectique. D’un côté, une série ayant normalisé la présence gay dans un format adolescent grand public, offrant des personnages comme Danny et Mason dans un monde idéalisé sans discrimination.
De l’autre, un cas d’école de queerbaiting systémique où une équipe de production a sciemment exploité les désirs d’une audience marginalisée à des fins commerciales, sans jamais avoir l’intention narrative de les satisfaire.
La vraie leçon de « Teen Wolf » n’est peut-être pas dans ce qu’elle a accompli, mais dans ce qu’elle aurait pu devenir. Elle reste le symbole d’une génération de séries qui ont compris le pouvoir économique de l’audience queer sans lui accorder le respect narratif qu’elle méritait. Et c’est précisément cette trahison qui en fait un objet d’étude incontournable pour comprendre l’évolution des représentations LGBTQ+ dans la culture pop contemporaine.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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