Innovation ou profanation ? Quand l’IA sublime « Le magicien d’Oz » pour La Sphère de Las Vegas… tout en déchaînant la controverse
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 4 septembre 2025 - 🕐 4 minutes
« Le Magicien d’Oz », bijou du cinéma de 1939, fait son retour sur grand écran à Las Vegas, dans la salle immersive hors norme « La Sphère ». Mais pour une adaptation complète à la taille de cet écran, le film a dû être remanié… par IA.
Derrière le spectacle époustouflant, la transformation controversée du film questionne la place que l’IA doit occuper dans la gestion du patrimoine cinématographique.
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Découvrez ce livreLa Sphère : prouesse technologique ou aberration écologique ?
La Sphère, inaugurée en 2023 près du célèbre Strip de Las Vegas (là où sont concentrés quasiment tous les casinos), est un titan architectural : 112 mètres de haut, 157 mètres de large, avec un écran LED 16K immersif couvrant plus de 80 000 m² et 167 000 haut-parleurs. Un projet à plus de 2,3 milliards de dollars, voulu pour offrir une expérience multisensorielle inédite.

Mais ce « colosse du divertissement », propriété de la Madison Square Garden Company, consomme près de 28 mégawatts en pointe, soit environ 95 779 mégawattheures par an. L’équivalent de la consommation électrique annuelle de 21 000 foyers, générant à son rythme actuel près de 47 000 tonnes de CO₂, soit le rejet d’environ 10 000 voitures. Malgré un accord pour couvrir 70 % de cette énergie via des panneaux solaires, ce n’est pas avant 25 ans que l’impact carbone pourrait être partiellement amorti.
Pour beaucoup, cette démesure énergétique fait sonner l’alarme : à l’heure où la planète crie son urgence climatique, cette prouesse technologique apparaît comme une aberration. Le spectacle a un prix écologique élevé que même les systèmes LED dernière génération et la climatisation optimisée ne parviennent pas à compenser. Et que dire des tarifs prohibitifs, avec des places démarrant à plus de 100 dollars (90 euros environ), et pouvant même atteindre 7 000 dollars (environ 6 500 euros) pour certaines expériences ?
À l’heure où la planète crie son urgence climatique, cette prouesse technologique apparaît comme une aberration.
Le Magicien d’Oz, une icône du cinéma queer mise à nu « dans un remake à l’IA »
Le Magicien d’Oz, film culte de 1939, dépasse largement son statut de conte pour enfants. Judy Garland, figure emblématique de la communauté LGBTQIA+, y incarne Dorothy dans une quête d’identité et d’émancipation qui parle à des millions de personnes marginalisées. Le film est un hymne à la différence, un classique chéri depuis des générations (y compris par votre humble hôte de 46 ans, pour qui ce film reste « number one » depuis l’adolescence).
Cette transposition en spectacle immersif, bien que fascinante, soulève un paradoxe : modifier le chef-d’œuvre d’origine grâce à l’IA est-il un hommage ou une réécriture de l’histoire ? Le film original gardera toujours sa magie intacte, mais la version remaniée, certes plus spectaculaire visuellement, supprime certaines chansons, raccourcit des scènes, et ajoute des décors hors champ recréés artificiellement. Avec des pommes virtuelles tombant dans la salle, et même de la neige, est-ce vraiment encore le même Magicien d’Oz ? Ou sommes-nous dans une attraction ?
L’adaptation par l’IA : révolution ou… ré-écriture ?
Le travail titanesque mené par des sociétés comme Magnopus et Google DeepMind (en accord avec Warner Bros) pour relever ce défi technique est impressionnant, et l’opération est un exploit.
L’œuvre a été retravaillée plan par plan : les images ont été agrandies, les fonds complétés, la résolution multipliée par dix, passant d’un Technicolor d’époque à une qualité ultra HD inédite. L’IA a recréé des zones hors champ, comblé les défauts du film originel, tout en conservant les performances vocales intactes. Pour adapter le rythme, certaines chansons et scènes ont été coupées ou raccourcies, respectant les contraintes de la projection immersive.
La bande-son a également été réenregistrée en studio sur la scène sonore d’origine et optimisée pour utiliser la puissance des 167 000 haut-parleurs de La Sphère. Les visuels sont ainsi sublimés dans un écrin sensoriel total.
Toutefois, derrière cette prouesse, l’utilisation de l’IA dans l’adaptation soulève des questions majeures…
Le Magicien d’Oz à La Sphère : un accueil en demi-teinte ?
Certains fans déçus sur les réseaux sociaux pointent du doigt la perte d’émotion et la découpe des scènes cultes, regrettant une version « lissée » et aseptisée au profit de la technologie. D’autres, de scènes complètement « moches et mal faites ». La question éthique est centrale : faut-il modifier des œuvres originales au nom de la modernité, et à quelles fins ?
Le danger est aussi conceptuel. L’IA ouvre la porte à la « réécriture » à volonté des classiques. Ce « droit à modifier » peut-il mener à une perte progressive du patrimoine culturel authentique, au profit d’une production artificielle aseptisée ? Il ne s’agit pas seulement d’une question technique, mais d’un choix de société entre préservation et mutation des œuvres.
Une question juridique et sociale lourde de conséquences
Le recours à l’IA dans la création artistique, notamment pour des œuvres existantes, soulève aussi un casse-tête juridique sur la propriété intellectuelle et le statut de l’auteur. Alors que certains tribunaux américains commencent à reconnaître qu’une œuvre générée ou modifiée par IA ne peut être déposée comme une œuvre humaine, la situation reste confuse dans la plupart des pays.
La problématique est au cœur du « Magicien d’Oz version Sphère » : quel crédit donner aux modifications apportées ? Les artistes humains sont-ils mis en porte-à-faux face à des algorithmes capables de générer de nouvelles images, voix et effets ? Ce débat s’inscrit dans une controverse plus large sur l’avenir des métiers du cinéma face à l’automatisation croissante.
Alors que l’originellement intitulé « The Wizard of Oz » trouve une nouvelle jeunesse numérique, la polémique autour de La Sphère illustre les tensions de notre époque : innovation fulgurante d’un côté, et conservation respectueuse du patrimoine culturel de l’autre. La vraie question étant : l’intelligence artificielle doit-elle être un outil au service de la créativité humaine, ou le prétexte à une réécriture sans limites ? Il est peut-être là, le grand défi qui s’impose à l’industrie du divertissement aujourd’hui.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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