Love Lies Bleeding : pourquoi la France a boudé ce thriller lesbien survitaminé ?
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 21 octobre 2025 - 🕐 6 minutes
Il fallait s’y attendre. Sorti en catimini dans les salles françaises en juin 2024, « Love Lies Bleeding » n’aura attiré qu’à peine 80 000 spectateurs en dix semaines d’exploitation, selon les chiffres box-office d’AlloCiné.
Un destin injuste pour ce qui constitue probablement l’un des films les plus audacieux et nécessaires de 2024, porté par une Kristen Stewart au sommet de son art, et une révélation nommée Katy O’Brian.
Ce qui sera abordé :
Derrière cette romance queer survitaminée se cache bien plus qu’un simple thriller : un manifeste esthétique et politique qui bouscule les codes du cinéma contemporain avec une énergie communicative et une esthétique léchée digne d’un « film Instagram » sous acide. Je vais donc vous expliquer pourquoi ce film est incontournable.
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Découvrez ce livreRose Glass : de « Saint Maud » à « Love Lies Bleeding », l’ascension d’une cinéaste
La réalisatrice britannique Rose Glass a creusé dans sa carrière un sillon bien singulier à la fois dark, stylisé et hypnotique en seulement deux longs-métrages. Après le bouleversant film d’horreur psychologique « Saint Maud » (sorti en 2021) qui l’avait révélée au monde, Rose Glass signe ici un thriller romantique co-écrit avec la réalisatrice et scénariste britannique Weronika Tofilska (on lui doit la série « Mon petit reine » sur Netflix), confirmant sa capacité à naviguer entre les genres avec une maîtrise impressionnante.

Rose Glass a choisi de situer l’action dans le monde du culturisme des années 1980, au Nouveau-Mexique. Cette décision créative lui a permis de déployer une esthétique rétro-kitsch irrésistible, où les néons, les bodies fluo et l’atmosphère poisseuse des salles de sport créent un terrain de jeu visuel fascinant. Le film constitue « un joyeux cocktail de sexe, de sang, de violence et de vengeance, dans un emballage rétrokitsch irrésistible », comme on peut lire sur La Presse.
Thriller, romance et body horror : « Love Lies Bleeding », un mélange des genres fou
Ce qui frappe d’emblée dans « Love Lies Bleeding », c’est cette capacité unique à mélanger les genres sans jamais perdre en cohérence. Le film peut être décrit comme « romantique, cool et brutal », tout en étant un beau mélange de thriller et de romance lesbienne. Rose Glass maîtrise l’art de la transgression : elle nous emmène du tendre au violent, du réaliste au fantasmatique, en créant une expérience cinématographique totale qui ne laisse pas indifférent.
Le film puise dans l’héritage du néo-noir américain tout en y insufflant une modernité saisissante.
Selon ce qui a été déjà dit çà et là, « Love Lies Bleeding » devient même délibérément sauvage et clinquant par moments. Et alors qu’on peut penser que le film perd le contrôle, Rose Glass tient toujours les rennes ». Cette apparente maîtrise du chaos fait d’ailleurs tout le sel du long-métrage : on a l’impression d’assister à un accident de voiture en slow motion, en réalité chorégraphié avec précision.

Une esthétique so années 80 hyper léchée
L’esthétique de « Love Lies Bleeding » constitue l’un de ses atouts majeurs. Rose Glass et son équipe ont créé un univers visuel saisissant, où chaque plan semble avoir été pensé pour Instagram. Les couleurs saturées, les jeux de lumière néon, l’utilisation de la fumée et des reflets créent une atmosphère unique, presque hypnotique. Certaines séquences semblent avoir été tournées sous acide, créant des moments de pure poésie visuelle au milieu de toute la violence.
Cette approche esthétique n’est pas gratuite : elle sert le propos du film en créant un monde parallèle où les règles de la réalité peuvent être suspendues, où les corps peuvent se transformer et où l’amour peut « littéralement » faire exploser les conventions.
Un casting d’exception mené par Kristen Stewart
Kristen Stewart, bientôt réalisatrice, confirme une fois de plus qu’elle est devenue l’une des actrices les plus intéressantes de sa génération. Loin de l’image sage de « Twilight », elle incarne ici Lou, gérante d’une salle de sport paumée du Nouveau-Mexique, avec une justesse troublante. Son personnage, rongé par la culpabilité familiale et la solitude, trouve sa rédemption dans une passion dévorante pour Jackie, interprétée par Katy O’Brian.
Quant à Katy O’Brian (« Twisters », « The Mandalorian »), révélation absolue du film, elle apporte une dimension physique et émotionnelle saisissante à son personnage de culturiste bisexuelle. La comédienne a avoué en interview qu’il n’avait pas été facile pour elle d’accepter le rôle de prime abord. Mais son travail de préparation physique et sa chimie explosive avec Kristen Stewart créent au final l’un des couples les plus mémorables du cinéma récent.

Un film politique qui révolutionne la représentation queer bien au-delà de la simple romance
Les cinéastes ont été plus efficaces ces dernières années pour obtenir une large distribution pour des films centrés sur des personnages LGBTQ+ sans faire du genre ou de l’orientation une part significative de l’intrigue. « Love Lies Bleeding » s’inscrit dans cette tendance en la transcendant : il ne s’agit pas d’un film avec des personnages queers, mais d’un film profondément queer dans son essence.
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Découvrez ce livreKristen Stewart a même déclaré à la Berlinale que « l’ère des films queers qui ne faisaient que pointer ce sujet était terminée », et « Love Lies Bleeding » en est l’illustration. Le film traite de violence familiale, de rêves brisés, de classe sociale et de survie, tout en plaçant une histoire d’amour lesbienne au centre, sans jamais en faire un artifice ou un prétexte.
Ce n’est pas un film avec des personnages queers, mais un film profondément queer dans son essence.
Loin des clichés de la romance « gnangnan »
Ce qui rend « Love Lies Bleeding » si rafraîchissant, c’est sa capacité à éviter tous les pièges de la « romance queer tragique » qui sévit encore trop souvent au cinéma. Le film livre « une histoire d’amour chaotique qui brille par ses représentations réelles et variées de la queerness ». Pas de coming-out laborieux, pas de drame familial larmoyant, pas de fin tragique : juste deux femmes qui tombent amoureuses et qui vont jusqu’au bout de leur passion, avec les conséquences que ça implique.

Pourquoi « Love Lies Bleeding » méritait mieux que l’indifférence française
En France, le site Allociné propose une moyenne de 3,7/5, d’après l’interprétation de 35 critiques de presse. Un score correct, me direz-vous. Certes. Mais qui ne reflète pas l’importance de cette œuvre dans le paysage cinématographique contemporain. La critique française, souvent frileuse face aux propositions les plus audacieuses, semble avoir été déstabilisée par le mélange des genres et l’esthétique du film.
Pourtant, plusieurs voix sur le net ont défendu « Love Lies Bleeding » en disant que le film délivrait un message d’une pertinence contemporaine, « à une époque on ne peut plus nécessiteuse d’égalité et de cohésion ». Le film arrive au bon moment, dans une société française qui peine encore à accepter la diversité des représentations à l’écran.
Un public français pas prêt ?
Les 80 000 spectateurs français qui ont découvert « Love Lies Bleeding » (dont moi) ont eu la chance d’assister à quelque chose de rare : un film qui assume ses partis pris esthétiques et narratifs sans jamais chercher à rassurer. Le film témoigne de la volonté d’A24 de privilégier des projets créatifs, face à la standardisation hollywoodienne.
Cette confidentialité française contraste avec l’accueil international du film, qui a été remarqué au Festival de Sundance 2024 et sélectionné à la Berlinale 2024 en sélection officielle hors compétition. Un décalage qui en dit long sur la frilosité du public hexagonal face aux propositions les plus innovantes.
« Love Lies Bleeding » : le film à rattraper en streaming
« Love Lies Bleeding » représente tout ce que le cinéma contemporain fait de mieux : une proposition artistique forte, portée par des interprètes incroyables, au service d’un propos qui dépasse le simple divertissement. Rose Glass a réussi le pari fou de créer un film à la fois accessible et exigeant, populaire et d’auteur, violent et tendre.
« Love Lies Bleeding » fait l’effet d’une bouffée d’air frais, d’un électrochoc salvateur qui rappelle que le cinéma peut encore surprendre et bouleverser. C’est un film nécessaire, qui ouvre des perspectives nouvelles pour le cinéma queer et prouve qu’il est possible de conjuguer exigence artistique et représentation inclusive.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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