Comment « Lady Oscar » a éveillé des milliers de jeunes queers avant l’heure
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 16 décembre 2025 - 🕐 7 minutes
Ça fait plus de cinquante ans que « Lady Oscar », alias d’Oscar François de Jarjayes, fascine. Cette héroïne androgyne, née sous la plume de Riyoko Ikeda en 1972, continue d’incarner un symbole d’émancipation et de questionnement identitaire pour la communauté LGBT. Retour sur ce phénomène queer.
Au printemps 1972, le magazine japonais Margaret publie les premières pages de « Versailles no Bara », une œuvre qui va provoquer un séisme culturel. La mangaka responsable de ce choc, Riyoko Ikeda, y transpose son engagement politique féministe et marxiste dans une fresque historique ambitieuse.
Ce qui sera abordé :
Elle fait partie du Groupe des 24, cette génération révolutionnaire de mangakas féminines nées autour de 1949, qui a transformé l’industrie du manga en y introduisant des thématiques politiques, historiques et des questionnements sur le genre et la sexualité.
Inspirée par la biographie de Marie-Antoinette signée Stefan Zweig qu’elle a découverte au lycée, l’autrice crée un récit qui mêle personnages historiques et fiction, plaçant au cœur de l’intrigue Oscar François de Jarjayes, sixième fille d’un général qui, excédé de n’avoir que des filles, décide de l’élever comme un garçon afin de perpétuer le nom de la famille.

Le manga connaît un succès immédiat, et les ventes du magazine explosent pendant les 82 semaines de publication. Les médias japonais vont même baptiser le phénomène « Berubara Boom » (ベルバラブーム, berubara būmu), « Berubara » étant la contraction japonaise de « Berusaiyu no bara » (ベルサイユのばら), le titre original japonais de « La Rose de Versailles ».
L’histoire fascine : Oscar, élevée comme un homme, devient capitaine de la Garde royale et se retrouve chargée de protéger Marie-Antoinette. Aux côtés d’André, son ami d’enfance secrètement amoureux d’elle, Oscar traverse les dernières années de la monarchie française jusqu’aux barricades de la Révolution. Le récit explore avec une rare sensibilité les déchirements d’une héroïne qui refuse de se conformer aux attentes sociales, questionnant sans cesse son identité dans une société qui ne lui laisse aucune place.
Une révolution télévisée qui traverse les frontières
En octobre 1979, le studio Tokyo Movie Shinsha (aka TMS) adapte le manga en une série animée de quarante épisodes diffusée sur NTV. La production bénéficie d’un staff d’exception dont les noms résonnent encore aujourd’hui dans l’histoire de l’animation japonaise. Tadao Nagahama réalise les dix-huit premiers épisodes avant de céder sa place à Osamu Dezaki, qui imprime à la série sa signature visuelle inimitable avec ses fins d’épisodes en crayonné et sa gestion magistrale du temps narratif.
Mais ce sont surtout les character designers qui marquent les esprits : le duo légendaire formé par Shingo Araki et Michi Himeno, rejoints par Akio Sugino, crée un style graphique d’une élégance intemporelle. Ces artistes imprimeront ensuite leur patte sur d’autres productions cultes connues en France. Araki et Himeno signeront en effet dans la foulée « Ulysse 31 » en 1981, avant de révolutionner l’animation avec « Les Chevaliers du Zodiaque » en 1986. Leur collaboration avec Dezaki forge un style qui influencera durablement toute l’industrie de l’animé, en établissant de nouveaux standards en matière de design de personnages et de mise en scène dramatique.
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Découvrez ce livreRécré A2 importait une « révolution » sans le savoir
Le 8 septembre 1986, les enfants français découvrent « Lady Oscar » dans l’émission Récré A2, dirigée par Jacqueline Joubert et animée par Dorothée. La série sera rediffusée en 1989 sur Antenne 2, puis en 1998 sur France 3 dans Les Minikeums, avant de revenir en 2004 sur France 5 dans Midi les Zouzous. Cette diffusion massive marque toute une génération, même si certaines scènes jugées trop violentes sont censurées, et que la prostitution n’est jamais mentionnée dans la version française.

Oscar François de Jarjayes, l’autre nom de l’éveil des consciences queer
Oscar François de Jarjayes représente bien plus qu’une simple héroïne « travestie » en homme. Le personnage incarne une exploration profonde et troublante de l’identité de genre, de la dysphorie et de l’ambiguïté sexuelle. Contrairement aux récits classiques de la pucelle guerrière qui finit par retourner à une féminité conventionnelle, Oscar maintient son ambiguïté du début à la fin, questionnant constamment ce que signifie être une femme ou un homme.
Dans une scène particulièrement poignante, Oscar demande à son père s’il l’aurait élevée comme une fille s’il avait eu un héritier mâle, puis le remercie en larmes d’avoir fait le choix qu’il a fait. Cette séquence résonne avec une intensité particulière pour les personnes trans et non binaires qui y reconnaissent leurs propres questionnements identitaires. Pour des milliers de jeunes queers des années 80 et 90 qui regardaient « Lady Oscar », le personnage offrait un espace de reconnaissance et de validation alors qu’ils n’avaient pas encore les mots pour nommer ce qu’ils ressentaient.
Oscar symbolise la résistance contre le trauma et la violence que subissent les personnes non conformes, particulièrement dans la sphère familiale.
Oscar symbolise la résistance contre le trauma et la violence que subissent les personnes non conformes, particulièrement dans la sphère familiale. Son agence est constamment remise en question par son entourage, qui croit qu’elle est forcée par son père à se comporter en homme, alors qu’Oscar choisit activement son identité masculine. Ce motif narratif fait écho aux discours transphobes contemporains qui infantilisent les personnes trans en les présentant comme manipulées.

L’héritage transgénérationnel : Lady Oscar a battu le pavé pour… Sailor Moon
Vingt ans après « Lady Oscar », Sailor Moon poursuit et amplifie ce travail de représentation queer dans l’animation japonaise. Diffusée au Japon dès 1992 puis dans le monde entier à partir de 1995, la série créée par Naoko Takeuchi normalise la présence de personnages LGBT dans un programme destiné à un jeune public. Le couple emblématique formé par Sailor Uranus et Sailor Neptune, par exemple, offre une représentation positive de l’amour lesbien, malgré la censure subie dans certains doublages occidentaux qui les ont transformés en « cousines ». LOL.

Sailor Moon va même encore plus loin qu’Oscar en proposant toute une palette d’identités queer : des personnages genderfluid, comme les Sailor Starlights, des questionnements bisexuels chez Usagi/Bunny Rivière elle-même, ou encore Fish Eye (dans l’arc « Sailor Moon Super ») qui explore ouvertement la féminité tout en étant assigné masculin à la naissance. Ces séries partagent une approche révolutionnaire : elles permettent aux jeunes spectateurs de voir des personnages qui défient les normes de genre comme des héros, des modèles, des êtres complexes et aimables.
Pour les enfants queers qui grandissaient dans les années 80 et 90, souvent dans des environnements où l’homosexualité n’était jamais mentionnée et où la transidentité n’avait pas de nom, ces animés offraient les premières représentations positives auxquelles s’identifier. Ils normalisaient le questionnement, montraient qu’il était possible d’exister en dehors des cases, et que l’amour pouvait prendre mille formes.
Un impact durable sur l’industrie du divertissement
L’influence de « Lady Oscar » dépasse largement le cadre de l’animation. Le manga s’est vendu à plus de vingt-trois millions d’exemplaires dans le monde et a donné lieu à des adaptations multiples : la revue Takarazuka en a fait l’un de ses plus grands succès avec plus de deux mille représentations depuis 1974, un film réalisé par Jacques Demy en 1979, et tout récemment un nouveau long-métrage d’animation produit par le studio MAPPA, sorti au Japon en janvier 2025 et disponible sur Netflix depuis avril (qui n’est pas franchement fou fou).

L’œuvre a contribué à populariser le château de Versailles comme destination touristique pour les Japonais et à développer l’intérêt pour la culture française au Japon, au point que Riyoko Ikeda a été décorée de la Légion d’honneur par le gouvernement français en 2009. Plus fondamentalement, La Rose de Versailles a posé les fondations esthétiques et narratives du shōjo manga moderne, influençant des œuvres aussi diverses que Revolutionary Girl Utena (réalisé par les équipes de Sailor Moon), Cardcaptor Sakura, ou plus récemment Madoka Magica. Le style graphique développé par Araki et Himeno a essaimé dans toute l’industrie, définissant pour longtemps l’apparence des héroïnes androgynes et des beaux garçons du manga et de l’anime. Le personnage d’Oscar a ouvert la voie à des décennies d’héroïnes qui refusent les rôles genrés traditionnels et questionnent les normes sociales.
Car ce qui rend « Lady Oscar » éternellement actuel, c’est sa capacité à poser les questions : qui décide de notre identité ?
Cinquante ans après sa création, Oscar François de Jarjayes continue d’inspirer de nouvelles générations. Car ce qui rend « Lady Oscar » éternellement actuel, c’est sa capacité à poser les questions : qui décide de notre identité ? Comment exister quand la société ne nous offre aucune case où nous ranger ? Comment aimer librement dans un monde de conventions ?
Ces interrogations traversent les époques et continuent de résonner chez tous ceux qui, enfants, ont regardé cet animé révolutionnaire en se reconnaissant dans les yeux tourmentés d’Oscar. Ils y ont trouvé non pas des réponses, mais la permission de se poser des questions. Et parfois, c’est exactement ce dont on a besoin pour commencer à exister.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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