Pourquoi CLAMP reste le collectif le plus queer-friendly de l’histoire du manga ? Retour sur 30 ans de représentation queer
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 25 novembre 2025 - 🕐 9 minutes
CLAMP est un acronyme qui résonne comme un manifeste. C’est un collectif 100 % féminin de mangakas, dans un milieu ultra-masculin, qui s’impose dès 1989 avec des œuvres queer-freindly majeures. Rétrospective et hommage.
RG Veda, Tokyo Babylon, Card Captor Sakura, X/1999, Magic Knight Rayearth, Chobits, xxxHolic… Les titres de CLAMP ont marqué toute une génération. Des œuvres qui, bien avant que l’Occident ne commence timidement à parler de diversité, normalisaient déjà les romances same-sex, les identités fluides, les amours qui transcendent le genre.
Ce qui sera abordé :
Pour celleux qui ont grandi dans les années 90 et 2000, CLAMP a été bien plus qu’un simple divertissement. Ces mangas ont été des espaces de respiration, des lieux de reconnaissance, parfois même des déclencheurs de coming-out. Pourtant, à l’heure où les nouvelles générations découvrent la pop culture queer à travers Steven Universe ou She-Ra, l’héritage de CLAMP semble s’estomper. C’est un paradoxe cruel : alors que leur influence irrigue toute la création contemporaine, leur nom commence à s’effacer. Il est temps de leur rendre hommage.
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Découvrez ce livreElles étaient 12 au départ…
L’histoire commence sans tambours : en 1987, une bande de copines inscrites au même cours de dessin à Osaka décide de monter un cercle de dōjinshi, ces fanzines amateurs qui permettent aux passionnés de manga de s’essayer à la création. Elles sont douze au départ : Mokona Apapa, Satsuki Igarashi, Mick Nekoi (qui deviendra Tsubaki Nekoi), Nanase Ohkawa, Tamayo Akiyama, Sei Nanao, Leeza Sei, Soushi Hisagi, Kazue Nakamori, Shinya Ohmi, Inoue Yuzuru et O-Kyon.
Ces jeunes femmes publient d’abord des parodies de séries cultes comme Saint Seiya ou Captain Tsubasa dans leur magazine CLAMP Book. Mais très vite, elles se démarquent. Là où d’autres restent sages, CLAMP ose. Elles réinterprètent les personnages avec des twists audacieux, ajoutent des sous-textes que personne n’ose aborder à l’époque : des relations LGBT, des dynamiques moralement complexes. Dès leurs débuts dans le doujinshi, CLAMP montre qu’elle ne jouera pas selon les règles établies.
En 1989, elles franchissent le cap du professionnel avec RG Veda, publié dans le magazine Wings. À ce stade, le groupe s’est réduit à sept membres. En 1990, trois autres quittent le navire. Ne restent que quatre femmes, celles qui formeront le CLAMP que nous connaissons aujourd’hui : Nanase Ohkawa (scénariste et leader), Mokona (dessinatrice principale), Tsubaki Nekoi (dessinatrice spécialisée dans les personnages SD et l’encrage), et Satsuki Igarashi (trames et design).
Quatre femmes contre un empire : la naissance révolutionnaire de CLAMP
Cette configuration finale n’est pas anodine. Quatre femmes, aucun assistant, et tout est fait en interne… Une volonté de contrôle total, farouche, pour ne pas avoir à déléguer leur vision. C’était révolutionnaire à l’époque et ça le reste aujourd’hui. Dans une industrie japonaise du manga dominée par les hommes, où les femmes mangakas restent cantonnées aux shōjo, CLAMP impose un modèle alternatif : un studio collectif féminin, polyvalent, capable de toucher tous les publics.
Et surtout, elles posent les bases d’un univers narratif sans équivalent : celui où l’amour ne connaît pas de genre, où les destins s’entrecroisent au-delà des conventions sociales, où chaque personnage peut aimer qui il veut sans que cela soit un sujet. Un positionnement d’autant plus audacieux qu’au Japon des années 90, l’homosexualité reste un sujet tabou (encore aujourd’hui…), où faire son coming-out peut signifier la rupture familiale et l’exclusion sociale.
Des œuvres qui ont changé des vies : le catalogue queer de CLAMP
RG Veda (聖伝 – RG Veda)

Sortie française : 1995 (Tonkam)
Fantasy épique inspirée des textes sacrés hindous, RG Veda raconte la rébellion contre l’empereur Taishakuten dans un royaume céleste. Mythologie, destinée tragique et personnages androgynes composent cette première œuvre majeure.
Dès cette série, CLAMP pose ses fondations queers : Ashura, né ni homme ni femme, première représentation non binaire du collectif, et le couple lesbien Kendappa-ō/Sōma. Le genre n’est déjà plus une barrière à l’amour ou à l’identité.
Tokyo Babylon (東京 BABYLON)

Sortie française : 1996 (Tonkam, réédition Pika 2025)
Adaptations : 2 OAV (1992-1994), 1 film live (1993)
Subaru Sumeragi, 16 ans, exorciste du clan Sumeragi, affronte les forces surnaturelles de Tokyo aux côtés de sa sœur Hokuto et du mystérieux vétérinaire Seishirō. Critique acerbe de la société japonaise matérialiste, le manga révolutionne la représentation des romances same-sex.
L’histoire d’amour tragique entre Subaru et Seishirō marque des millions de lecteurs par sa profondeur émotionnelle. CLAMP normalise l’homosexualité masculine sans cliché ni fan-service, dans un Japon où le coming-out reste tabou.
Magic Knight Rayearth (魔法騎士レイアース)

Sortie française : 1996 (Manga Player puis Pika)
Adaptations : Série TV anime (1994-1995)
Trois collégiennes sont transportées dans le monde de Céfiro pour sauver la princesse Émeraude. Mêlant magical girl, mecha et fantasy, la série surprend par son twist final tragique et introduit une certaine esthétique visuelle, véritable signature de CLAMP.
Moins queer, Magic Knight Rayearth pose les bases visuelles du studio et interroge les notions de destin. Mokona, la créature mascotte qui reviendra dans Tsubasa, y fait sa première apparition.
Wish (ウィッシュ)

Sortie française : 1998 (Tonkam)
Kohaku, un ange sauvé par le médecin Shuichiro, décide d’exaucer son vœu pour le remercier. Romance fantastique aux dessins délicats, Wish explore l’amour qui transcende les barrières entre humain et créature céleste.
Les personnages angéliques androgynes incarnent la fluidité de genre caractéristique de CLAMP. Une œuvre courte, mais essentielle sur la pureté des sentiments au-delà des conventions.
X/1999 (X — エックス)

Sortie française : 1997-aujourd’hui (Tonkam, inachevé)
Adaptations : Film anime (1996), série TV (2001-2002)
Kamui doit choisir son camp dans une guerre apocalyptique entre Dragons du Ciel et Dragons de la Terre. Relecture de l’Apocalypse selon Saint-Jean, X/1999 pousse le shōjo vers le seinen avec une violence graphique assumée.
Subaru et Seishirō de Tokyo Babylon réapparaissent neuf ans plus tard, toujours liés par leur amour devenu haine. Interrompue en 2003 au tome 18, la série reste majeure malgré son inachèvement tragique.
Les adaptations ciné et télé sont des bangers. Perso, le film « X » est même dans mon top 10 des films préférés de tous les temps, pour vous dire.
Clover (クローバー / Trèfle)

Sortie française : 1999 (Manga Player puis Pika)
Dans un futur dystopique, l’ex-militaire Kazuhiko escorte Sū, fillette aux immenses pouvoirs classée « Trèfle à quatre feuilles ». Mise en page radicale, esthétique cyberpunk, Clover est l’œuvre la plus expérimentale et poétique de CLAMP.
La relation entre Kazuhiko et Sū transcende les conventions d’âge et de statut. CLAMP laisse l’interprétation ouverte, fidèle à leur philosophie de l’amour sans frontières ni définitions restrictives.
Card Captor Sakura (カードキャプターさくら)

Sortie française : 2000 (Pika)
Adaptations : Série TV anime (1998-2000), films, série Clear Card (2018)
Sakura Kinomoto, 10 ans, doit récupérer les cartes magiques de Clow qu’elle a libérées. Diffusée sur M6 en 2001, la série a touché des millions d’enfants et reste l’œuvre la plus influente de CLAMP sur la représentation queer dans les contenus jeunesse.
Tōya aime Yukito, Tomoyo aime Sakura, Syaoran avoue avoir été attiré par Yukito. Ohkawa déclare en 2001 que Sakura aurait aimé Syaoran même s’il avait été une fille : l’amour transcende le genre. Révolutionnaire.
Chobits (ちょびっツ)
Sortie française : 2002 (Pika)
Adaptations : Série TV anime (2002)
Hideki, étudiant fauché, trouve Chi, un ordinateur à apparence humaine. Première œuvre CLAMP ciblant le public masculin seinen, Chobits questionne les relations humain-androïde et la nature de l’amour au-delà des apparences.
Le manga intègre des personnages secondaires LGBT et poursuit la réflexion du collectif sur ce qui définit l’amour véritable, indépendamment du genre ou même de l’humanité de l’être aimé.
Lawful Drug (合法ドラッグ)/Drug & Drop
Sortie française : 2003 (Tonkam)
Kazahaya et Rikuō, colocataires, travaillent dans la pharmacie Midori où leur patron leur confie des missions paranormales. Tentative de CLAMP vers le boys love mainstream, la série flirte avec les codes du yaoi.
Représentation plus ambiguë et parfois problématique, avec l’homophobie internalisée de Kazahaya face aux situations homoérotiques. Une œuvre qui montre que CLAMP n’a pas toujours été irréprochable dans le traitement des sujets queers…
Tsubasa : RESERVoir CHRoNiCLE (ツバサ)
Sortie française : 2004 (Pika)
Adaptations : Série TV anime (2005-2006), OAV
Crossover massif reprenant tous les personnages CLAMP, Syaoran traverse les dimensions pour récupérer les plumes-mémoires de Sakura. Publié en parallèle de xxxHolic, les deux histoires s’entrecroisent dans un récit labyrinthique.
La relation entre Fai et Kurogane, de la rivalité comique à une complicité profonde teintée d’homosensualité, compte parmi les plus touchantes du studio. Le multivers CLAMP atteint ici son apogée narrative.
xxxHolic (×××HOLiC)
Sortie française : 2004 (Pika)
Adaptations : Série TV anime (2006-2008), films, OAV
Watanuki, lycéen voyant les esprits, devient l’employé de Yūko, sorcière tenant une boutique exauçant les vœux. Atmosphère surnaturelle, designs ukiyo-e et philosophie du hitsuzen composent une œuvre mature.
La relation ambiguë entre Watanuki et Dōmeki explore le non-dit homoromantique. xxxHolic confirme l’évolution de CLAMP vers des œuvres symboliques questionnant les liens entre les êtres au-delà des conventions sociales.
Un paradoxe japonais : créer du queer dans un pays conservateur
L’audace de CLAMP prend son sens dans le contexte japonais des années 90. Le Japon fonctionne sur l’invisibilisation LGBT : ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Une étude de 2014 montre que 68 % des personnes LGBT y subissent du harcèlement, 32 % ont des pensées suicidaires. C’est dans ce climat que quatre femmes créent des œuvres où l’amour same-sex est normal, où les personnages non-binaires existent. Une résistance douce, mais puissante : changer les mentalités par la fiction, normaliser par la répétition.

L’impact a été mondial. Des millions d’enfants ont grandi avec Card Captor Sakura. Les témoignages affluent sur les réseaux : « CLAMP m’a aidé à faire mon coming-out », « Grâce à xxxHolic, j’ai compris que j’étais bi ». Leur influence irrigue toute la pop culture contemporaine : Rebecca Sugar (Steven Universe) et Noelle Stevenson (She-Ra) ont grandi avec ces mangas. De nombreux mangakas actuels citent CLAMP comme référence majeure. Pourtant, les nouvelles générations semblent moins connaître ces pionnières que ne le laisse supposer leur héritage. Une injustice à réparer.
CLAMP reste active en 2025, publiant des suites de xxxHolic et en collaborant même avec Netflix. En France, la collection Clamp Universe (Pika) réédite leurs œuvres majeures, permettant aux nouvelles générations de découvrir ces titres fondateurs. Ces rééditions ne relèvent pas de la nostalgie, mais de la justice historique : avant que l’Occident ne parle timidement de représentation LGBT, quatre femmes japonaises avaient déjà tout dit.
Il était pour moi essentiel de réhabiliter CLAMP en tant que créatrices pertinentes et toujours nécessaires. Parce qu’au fond, ce que CLAMP nous a appris il y a trente ans reste d’une actualité brûlante : l’amour n’a pas de genre, les destins s’entrecroisent au-delà des normes, et la révolution peut commencer par quatre femmes armées de pinceaux et de rêves.ver ces titres dans des éditions de qualité, avec un respect éditorial rare.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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