Challengers : l’œuvre queer de Guadagnino qui a osé parler des sentiments masculins (et que les mascus détestent)
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 16 octobre 2025 - 🕐 7 minutes
Actuellement disponible pour les clients de Amazon Prime Video, « Challengers » de Luca Guadagnino a été globalement salué comme un film visuellement intense, à la réalisation audacieuse, et porté par trois acteurs d’exception : Zendaya, Mike Faist, et Josh O’Connor. Mais…
Mais quand il est sorti en 2024, « Challengers » a traversé une pluie de critiques sévères qui ont révélé davantage les blocages d’une société hétéronormée que les supposées « faiblesses » du film.
Ce qui sera abordé :
Loin d’être un simple « film sportif », « Challengers » transcende en réalité les codes pour offrir une réflexion plus profonde sur l’amour, le désir et l’identité masculine dans un monde en pleine mutation. Décryptage de ce chef d’œuvre qui a levé un sacré tabou.

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Découvrez ce livreChallengers : une équipe créative d’exception au service d’une vision audacieuse
Le succès artistique de « Challengers » repose avant tout sur une équipe technique et créative de renom. Luca Guadagnino, déjà reconnu pour ses explorations sensuelles dans « Call Me By Your Name » (2017), « Suspiria » (2018) et, plus récemment « Queer », confirme son talent pour décortiquer les mécanismes du désir. Le réalisateur italien a consacré jusqu’ici une grande partie de son œuvre au désir, qu’il soit brûlant comme dans « Call Me by Your Name », dévorant comme dans le sanguinolent « Bones and All » ou addictif comme dans « Queer ». Cette expertise dans l’exploration des pulsions humaines trouve dans « Challengers » son expression la plus aboutie.
La bande originale, signée Trent Reznor et Atticus Ross (Nine Inch Nails), apporte une dimension électronique hypnotique qui intensifie chaque échange de regards, chaque tension non dite. Ces compositeurs, oscarisés pour « The Social Network » (2010), créent ici une partition qui épouse parfaitement les courbes narratives de Justin Kuritzkes.
Ce dernier mérite une attention particulière : marié depuis 2016 à la réalisatrice Celine Song, auteure de l’acclamé « Past Lives » (2023) — que j’avais adoré — et du récent « The Materialists » avec Pedro Pascal, Kuritzkes a écrit le triangle amoureux définitif de 2024 avec « Challengers ». Ce couple d’artistes forme assurément le duo le plus influent du cinéma indépendant américain actuel, maîtrisant l’art de disséquer les relations amoureuses complexes avec une acuité psychologique rare.

Zendaya productrice : un gage de sérieux, vraiment ?
En plus de sa performance d’actrice, Zendaya a endossé le rôle de productrice sur le film « Challengers », signe de son investissement personnel dans le projet. Cette implication va bien au-delà du simple engagement contractuel : elle témoigne ainsi de sa conviction profonde en la pertinence artistique et sociale du film. Zendaya, consciente de son influence et de sa responsabilité en tant qu’icône de la génération Z, a choisi de porter un projet qui interroge les normes sociales et explore sans détour la complexité des relations humaines.
Son personnage de Tashi Duncan, joueuse de tennis devenue coach, incarne une femme forte qui refuse les cases traditionnelles. Elle manipule, désire, contrôle, aime sans s’excuser d’exister. Cette représentation féminine libérée des stéréotypes hollywoodiens contribue sans doute au malaise ressenti par une partie du public masculin, peu habitué à voir les femmes exercer un tel pouvoir narratif et émotionnel sur leurs protagonistes masculins…

Challengers : une réalisation technique originale au service de l’émotion
La prouesse technique de Luca Guadagnino réside dans les séquences de tennis, et elle mérite d’être saluée. Le réalisateur et son chef opérateur ont développé un système de caméras révolutionnaire pour filmer les matchs, utilisant notamment des points de vue inédits depuis la perspective de la balle elle-même. Ces plans « extraordinaires », obtenus grâce à des caméras haute vitesse et des systèmes de câbles sophistiqués, transforment chaque échange tennistique en ballet chorégraphié où la tension érotique supplante l’enjeu sportif.
Ces innovations techniques ne sont pas gratuites : elles servent une vision artistique où le tennis devient métaphore de l’attraction sexuelle. Chaque coup de raquette résonne comme une pulsion, chaque point marqué comme un orgasme différé. Cette approche cinématographique audacieuse place « Challengers » dans la lignée des grands films d’auteur qui révolutionnent le langage cinématographique pour servir leur propos narratif.

L’analyse queer : décryptage d’une tension homoérotique qui dérange
Si « Challengers » raconte officiellement l’histoire d’un triangle amoureux centré sur Tashi, la lecture queer révèle une tout autre dynamique : celle d’une « passion » entre Mike Faist (Art) et Josh O’Connor (Patrick), qui ne parvient jamais à se l’avouer. Luca Guadagnino, maître dans l’art de filmer le désir refoulé, orchestre avec subtilité cette attraction magnétique entre les deux hommes. Leurs regards se cherchent, leurs corps se frôlent, leur rivalité sportive masque une attraction profonde que la société hétéronormative les empêche d’exprimer librement.
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Découvrez ce livrePar exemple, la scène de la chambre d’hôtel avec Tashi condense toute la complexité de leur relation. Les non-dits, les gestes esquissés puis retenus, la tension palpable… révèlent une intimité émotionnelle et physique que le script de Justin Kuritzkes explore avec une rare intelligence, avec un climax qui laisse le spectateur bouche bée. Cette approche narrative a forcément dérouté une partie du public masculin hétérosexuel, peu habitué à voir la fluidité des désirs masculins représentée sans jugement moral.
La performance libératrice de Mike Faist et Josh O’Connor
Mike Faist, révélé dans « West Side Story » de Steven Spielberg, et Josh O’Connor, vu entre autres dans « The Crown » et bientôt dans « History of Sound », livrent ici des interprétations d’une vérité saisissante. Ces deux acteurs ont su transcender leurs propres référentiels pour incarner des personnages aux sexualités complexes et fluides. Leur capacité à exprimer sans retenue l’attraction homoérotique témoigne d’une maturité artistique remarquable et d’un courage artistique certain dans le contexte actuel de remontée des conservatismes.
Les regards appuyés, les effleurements « accidentels », le spa où les corps se dévoilent ou encore la scène quand tous deux se partagent un churro (d’aspect subtilement phallique)… plusieurs scènes ont effectivement « fait rougir plus d’un spectateur » (moi-même d’ailleurs). Ces moments d’intimité masculine, filmés avec une sensualité assumée, bousculent les codes de représentation de la masculinité au cinéma. Mike Faist et Josh O’Connor portent cette audace avec une conviction totale, refusant de céder aux facilités de la performance hétéronormée. Et forcément… on en a perdu en chemin.
Une réception critique révélatrice de blocages sociétaux
L’accueil mitigé réservé à « Challengers » par une partie de la critique et du public révèle les fractures profondes de la société contemporaine. Dans un contexte de montée des mouvements masculinistes et de remise en cause des avancées féministes et LGBTQIA+, un film qui questionne les codes de la masculinité traditionnelle ne pouvait qu’être mal reçu par certains segments de la population.
Cette hostilité s’explique par plusieurs facteurs sociologiques : d’abord, « Challengers » refuse de présenter des hommes aux identités sexuelles figées et binaires. Art et Patrick évoluent dans un spectre de désirs fluides qui déstabilise les repères traditionnels. Ensuite, le film accorde un pouvoir narratif considérable à Tashi/Zendaya, qui orchestre et contrôle les relations entre les deux hommes. Cette inversion des rapports de domination genrés heurte une vision patriarcale où les femmes doivent rester objet du désir masculin plutôt qu’actrices de leurs propres choix.

Un film apprécié par les femmes et la communauté gay : hasard ou révélateur ?
Je cite ce qui a été déjà dit en ligne : « Le tennis, c’est comme une relation ». Cette métaphore résonne particulièrement auprès des publics habitués à décoder les sous-textes émotionnels : les femmes et la communauté gay. Ces spectateurs, moins attachés aux représentations masculines stéréotypées, ont immédiatement saisi la richesse narrative et émotionnelle de « Challengers ». Ils ont apprécié la complexité psychologique des personnages, la subtilité des relations de pouvoir et la beauté plastique des corps filmés sans objectivation.
Cette réception différenciée interroge : faut-il continuer à produire des films qui explorent la diversité des expériences humaines au risque de heurter les sensibilités conservatrices ? Ou doit-on céder aux pressions d’un public masculin qui refuse la remise en cause de ses privilèges symboliques ? « Challengers » répond clairement : l’art doit continuer à questionner, explorer, déranger pour faire avancer les mentalités.
Vous savez ce qu’on dit ? Un « film qui dérange, c’est souvent un film réussi ». En ces temps de régression sociale, un film comme « Challengers » s’impose donc comme une œuvre nécessaire, courageuse et visionnaire, utile pour nourrir le débat sur la représentation et la masculinité.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).




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