“And Just Like That” : autopsie d’un désastre télévisuel qui a définitivement enterré « Sex and the City »
Écrit par Jérôme Patalano - Publié le 27 août 2025 - 🕐 9 minutes
L’annonce est tombée début août 2025 : « And Just Like That » tire sa révérence après seulement trois saisons sur HBO Max. Une conclusion brutale qui n’a surpris personne, tant cette suite de « Sex and the City » aura été un naufrage critique et artistique sans précédent.
« And Just Like That » naît officiellement en 2021 sous l’impulsion de Sarah Jessica Parker et du créateur original Michael Patrick King (qui a réalisé bon nombre d’épisodes). La série, diffusée à partir de décembre 2021 sur HBO Max, devait marquer le grand retour de Carrie Bradshaw, Miranda Hobbes et Charlotte York-Goldenblatt, vingt ans après la fin de « Sex and the City ». L’absence notable de Kim Cattrall (Samantha Jones) plombera déjà le projet, mais on verra ça plus bas dans l’article.
Ce qui sera abordé :
L’idée semblait pourtant séduisante : retrouver ces femmes désormais quinquagénaires, explorer leurs nouveaux défis, leurs questionnements sur l’âge, la sexualité après 50 ans, le veuvage. Candace Bushnell, la créatrice originale de « Sex and the City », avait d’ailleurs publié en 2019 « Is There Still Sex in the City? », un livre autobiographique qui explorait déjà ces thématiques.

L’héritage trop révolutionnaire (et lourd à porter) de « Sex and the City »
Pour comprendre l’ampleur de l’échec d’« And Just Like That », il faut rappeler l’impact phénoménal de la série originale. De 1998 à 2004, « Sex and the City » a révolutionné la représentation de la sexualité féminine à la télévision. Carrie, Miranda, Charlotte et Samantha y parlaient de sexe sans tabou, assumaient leurs désirs, revendiquaient leur indépendance. L’impact culturel fut mondial : les ventes de sex-toys explosaient, les femmes s’appropriaient un vocabulaire sexuel longtemps masculin, et les conversations de comptoir se libéraient.
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Découvrez ce livreLa série imposait aussi l’esthétique de la femme new-yorkaise sophistiquée, consommatrice assumée de mode et de culture. Manolo Blahnik devint un nom familier, et les brunchs entre copines un rituel social incontournable. « Sex and the City » ne se contentait pas de nous divertir avec plaisir tous les vendredis soirs en troisième partie de soirée sur M6. Non, elle modifiait carrément les comportements et les aspirations d’une génération entière.
Le « Hateful Watch » : quand on regarde volontairement en serrant les dents
« And Just Like That » a introduit malgré elle un nouveau concept télévisuel : le « hateful watch » ou « hate watching ». Ce terme désigne le fait de continuer à regarder une série non par plaisir, mais par fascination pour sa médiocrité, par nostalgie du passé ou simple masochisme. Sarah Jessica Parker, elle-même, a reconnu l’existence de ces « hate watchers » sans s’en préoccuper outre mesure. Erreur.
« And Just Like That » a introduit le concept TV du « hateful watch »
Chaque épisode devint une épreuve : on souffle, on grimace, on s’indigne. Pourtant, on continuait, hypnotisés par l’ampleur du désastre. C’est exactement l’effet produit par cette série qui a transformé des personnages aimés en caricatures insupportables.
Carrie Bradshaw : de l’icône (un peu agaçante) à l’insupportable mémère
Le personnage de Carrie Bradshaw, jadis attachant malgré parfois de gros défauts, devient ici progressivement détestable. La saison 3 atteint des sommets d’agacement : ses obsessions pour des détails insignifiants (l’histoire du carreau cassé), son incapacité totale à s’adapter à la vie en colocation avec Miranda, son refus pathologique de marcher sans talons hauts… transforment l’héroïne en quinquagénaire capricieuse et déconnectée. Cette Carrie vieillit mal, non pas physiquement, mais intellectuellement et émotionnellement. Là où la série originale nous montrait une femme, une amante et une amie imparfaites (et qui nous tapait parfois sur les nerfs), elle restait néanmoins toujours en quête d’épanouissement. Dans « And Just Like That », on nous a présenté une bourgeoise névrosée, incapable de la moindre concession.

Miranda Hobbes : la chute d’une avocate brillante sur l’autel du cul
Miranda Hobbes, autrefois avocate cynique et brillante, s’est retrouvée ici réduite à ses lubies sexuelles. Son histoire avec Che Diaz, censée représenter son éveil à la bisexualité (alors qu’au début de « Sex and the City », dans un épisode quasi dédié à elle, elle avait proclamé que « non, son truc, c’était bien les hommes… » après avoir embrassé une femme), a tourné au fiasco narratif. Le personnage a perdu toute consistance intellectuelle pour devenir une quinquagénaire en pleine crise d’adolescence attardée.
Cette réduction d’un personnage complexe à ses seules envies sexuelles témoigne de l’appauvrissement narratif général de la série. Miranda, qui questionnait jadis les structures sociales avec perspicacité, est devenue une caricature de la femme mûre dépassée par son temps, empotée, et malgré tout toujours en quête de sensations nouvelles.

L’inclusivité ratée : quand la bonne intention produit le pire, comme Che Diaz, le personnage le plus détesté
Le personnage de Che Diaz, interprété par Sara Ramírez, a cristallisé toutes les critiques. Décrit comme une « caricature » et accusé de « cocher une check-list d’inclusivité », Che incarne tout ce qui n’a pas fonctionné dans l’approche inclusive de la série. Les fans ont notamment reproché au personnage son « énergie de fuckboy » (malgré le personnage non binaire qu’elle était censée représenter) et sa façon de manipuler Miranda émotionnellement.
Comme l’a analysé Rolling Stone, « Che Diaz ressemble davantage à une caricature outrancière d’une personne non binaire qu’à un personnage humanisé et bien développé ». Censée être une comédienne de stand-up, elle n’a jamais été drôle. Ses interactions sonnaient faux, ses blagues tombaient à plat, et sa relation avec Miranda manquait cruellement d’authenticité.
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Découvrez ce livreL’inclusivité de type « check-list » : une approche mécaniste et artificielle
« And Just Like That » semble avoir coché méthodiquement toutes les cases de l’inclusivité contemporaine sans jamais s’interroger sur la cohérence narrative. LGBTQIA+, diversité ethnique, questions de genre… tous les sujets ont été abordés avec la subtilité d’un marteau-piqueur : non-binarité, polyamour, etc. C’est bien, mais ça tombait à plat. Cette approche « checklist » produit des personnages artificiels qui semblaient sortis d’un manuel de communication corporate plutôt que d’un véritable travail d’écriture. L’inclusivité est devenue un exercice de style creux, vidée de sa substance politique et émotionnelle.
Quant aux filles de Charlotte, censées représenter la “jeunesse à la page”, c’est raté. Elles était plus tape-nerfs (et donc détestables à faire la leçon à longueur d’apparitions) qu’autre chose.

Des personnages secondaires qui ne remplaceront jamais Samantha Jones
L’absence de Kim Cattrall a très lourdement pesé sur l’équilibre narratif. Les scénaristes ont eu beau tenter de compenser en multipliant les personnages secondaires, mais aucun n’a atteint le charisme de Samantha Jones.
Seema Patel (l’excellentissime Sarita Choudhury), la richissime agence immobilière et nouvelle amie de Carrie, trouvait parfois grâce aux yeux des spectateurs (et aux miens), mais même elle a peiné à s’imposer face à l’héritage du quartet original. Les autres nouveaux personnages peinaient aussi à dépasser leur statut de faire-valoir, privant la série de sa dynamique du groupe originel.
Giuseppe et Anthony : au secours, les gays sont ennuyeux !
Même les personnages gay de la série ont déçu. Anthony Marantino, désormais propriétaire de « Hot Fellas », une boulangerie aux concepts douteux a perdu son mordant d’origine. Et peine à assumer son rôle comique dans la série. On a presque plus pitié de lui qu’autre chose… Quant à Giuseppe, sous les traits du magnifique acteur italien Sebastiano Pigazzi que l’on a aperçu dans d’autres productions, se voit attribué ici un rôle d’une improbabilité confondante, limité à son physique et à son entre-jambes généreux. On touche le fond. Même Patti LuPone, légende du théâtre musical, venue dans la saison 3 dans le rôle de sa mère, n’est pas parvenue pas à rendre crédible cette intrigue bancale.
L’épisode avec Rosie O’Donnell, où Miranda couche avec une religieuse « un peu plouc » sans le savoir, aurait pu être fun. Mais non ! Même cette situation potentiellement hilarante a été gâchée par une réalisation maladroite, des dialogues poussifs et un montage au hachoir.

L’obscénité de la richesse : quand l’argent tue l’émotion avec des héroïnes hors sol
L’un des aspects les plus gênants d’« And Just Like That » reste l’étalage constant de richesse. Tous les personnages principaux nagent dans l’opulence au point que cela en devient profondément dérangeant. Cette débauche d’argent crée une distance insurmontable avec le public et vide les enjeux dramatiques de leur substance.
Quand tous vos problèmes peuvent se résoudre à coups de chèques, où est le suspense ? Cette surenchère matérielle transforme les personnages en représentants d’une élite déconnectée, loin de l’humanité relative des héroïnes originelles.
Des scènes absurdes : exemple avec « la tempête de neige en haute couture »
Certaines séquences atteignent des sommets de ridicule, comme cette scène dans la saison 2 où Lisa traverse une tempête de neige en talons hauts et vêtements haute couture. Ces moments d’invraisemblance totale brisent la suspension d’incrédulité et rappellent cruellement que nous assistons à un spectacle écrit par des auteurs déconnectés de la réalité.

Le retour raté d’Aidan Shaw : quand nostalgie rime avec fiasco
Le retour d’Aidan Shaw, interprété par John Corbett, représentait un espoir pour les fans. Personnage attachant de la série originale, son come-back était très attendu. Hélas, même cette carte nostalgique a été mal jouée. L’intrigue tournait en rond, les interactions manquaient d’alchimie, et ce qui devait être un moment fort est devenu une énième déception.
Cette incapacité à capitaliser sur l’affection du public pour les anciens personnages témoigne de la faillite créative générale du projet.
Une catastrophe industrielle à étudier sérieusement
« And Just Like That » mériterait presque d’être étudiée dans les écoles de cinéma et d’écriture comme l’exemple parfait « de ce qu’il ne faut pas faire ». Comment une franchise aussi populaire et aimée a-t-elle pu produire un tel naufrage ? Quels mécanismes ont mené à cet échec retentissant ?
La série illustre parfaitement, sans le vouloir, les dangers de la surexploitation commerciale d’une œuvre culte, des limites d’une approche inclusiste mal maîtrisée où la bonne intention se transforme en maladresse narrative, et de l’importance cruciale du casting et de la chimie entre les acteurs dans une série chorale.

L’annulation d’« And Just Like That » après trois saisons clôt un chapitre douloureux de l’histoire télévisuelle. Sarah Jessica Parker, productrice et interprète de Carrie Bradshaw, a exprimé sa nostalgie dans un message émouvant : « Carrie Bradshaw a dominé mon cœur professionnel pendant 27 ans », mais cette fin annoncée sonne davantage comme une délivrance qu’un adieu déchirant.
Cette série restera un cas d’école : elle prouve qu’on ne peut pas ressusciter artificiellement la magie d’une œuvre culte. « Sex and the City » appartenait à une époque, portait une vision, incarnait un espoir. Il était temps de laisser Carrie Bradshaw reposer en paix, plutôt que de continuer à profaner sa mémoire.
L’échec d’« And Just Like That » nous rappelle une vérité essentielle : certaines œuvres sont parfaites dans leur finitude. Vouloir les prolonger artificiellement relève de l’acharnement thérapeutique. Dans le cas présent, il aurait mieux valu débrancher les machines bien plus tôt.

Jérôme Patalano est un auteur édité et auto-édité de romans d’imaginaire, feel-good et thrillers, avec des personnages queers, et consultant free-lance en communication digitale.
Enfant des années 80 et ado des années 90, la pop-culture a toujours guidé sa vie, jusqu’à la création de plusieurs médias comme Poptimist, mag de pop-culture queer (et pas que).
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